La musique à base d’intelligence artificielle (IA) débarque sur les plateformes de streaming, les jeux vidéo et bientôt au cinéma, emmenée par une poignée de visionnaires. Dont Aiva, une start-up luxembourgeoise.
Si dès les années 1970 le compositeur Pierre Boulez avait exploré cette idée avec les chercheurs de l’Ircam, l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique qu’il a fondé, c’est aujourd’hui que les premiers morceaux parviennent aux oreilles du grand public.
La start-up luxembourgeoise Aiva a sorti ainsi en 2016 «Genesis», un premier album de musique symphonique fondé sur l’apprentissage profond (le deep learning). «On a un algorithme, qu’on a nourri de musique classique, Bach, Beethoven, Mozart. A partir de ces 20.000 partitions, Aiva va se faire une idée de ce qu’est la musique, va effectuer une modélisation mathématique de ce style. Et ensuite on lui demande d’écrire des oeuvres originales avec des critères précis, durée, tonalité, style etc…», explique Arnaud Decker, directeur marketing d’Aiva.
Morceaux générés par intelligence artificielle
Mais ce sont des musiciens bien humains qui valident les morceaux créés par des algorithmes, ou les rejettent. Aiva a aussi composé l’an dernier un morceau pour la fête nationale du Luxembourg. Cette commande du gouvernement a été interprétée par 150 musiciens et 80 choristes, une première pour un morceau généré par une intelligence artificielle, non sans créer quelques remous dans le Grand Duché. «Notre ambition n’est pas de remplacer les humains, on veut composer de la musique pour les domaines où les humains ne peuvent pas le faire», les jeux vidéos qui ont besoin de centaines d’heures de musique, le cinéma, des vidéos ou les publicités qui ont des délais de production très courts, explique Pierre Barreau, co-créateur de la start-up.
Les commandes se multiplient pour la jeune pousse : Aiva a ainsi composé un morceau pour une conférence de Nvidia, géant américain des cartes graphiques, séduit par sa technologie. Et elle a produit la première bande son pour jeu vidéo composée par intelligence artificielle : le thème principal du jeu «Pixelfield – Battle Royale».
Jeux vidéos et Stromae
L’éditeur Ubisoft, bien conscient du potentiel de l’intelligence artificielle pour le jeu vidéo, a de son côté sélectionné Hexachords dans son écurie de start-ups incubées à Station F à Paris. Cette start-up travaille sur un logiciel, «l’Orb Composer» destiné à aider les compositeurs de musique dans leur processus de création. C’est aussi une étroite collaboration entre artistes, comme Stromae ou Kiesza, et intelligence artificielle, qui était à la base de l’album «Hello World» sorti en janvier sur plusieurs plateformes dont Spotify.
Cet album a été conçu comme une mise en pratique d’un projet de recherche scientifique baptisé Flow Machines initié par Sony. «On dit sur quel type de morceau on veut travailler: années 60, style capverdien etc, on nourrit la machine et dans une deuxième étape on demande à la machine de générer une partition», a expliqué François Pachet, ancien directeur du Computer science laboratory (CSL) de Sony, et qui a rejoint Spotify l’an dernier.
«La machine suggère des choses»
«La machine suggère des choses et l’artiste est le curator». Mais «pour faire un morceau vraiment intéressant il faut qu’il y ait une intention, y mettre de l’émotion. La machine sera pendant longtemps incapable de le faire», note-t-il. L’expérience a convaincu l’artiste belge Stromae : «c’est le même passage qu’entre la musique organique et la musique électronique. C’est ouf, c’est sûr que demain on fera tous de la musique comme ça!», s’exclame-t-il dans une vidéo de présentation du projet. «Quelques artistes étaient réticents, mais ça s’est conclu par un enthousiasme. C’est un nouvel outil révolutionnaire pour la composition», confirme Benoît Carré, alias Skygge, membre de l’équipe qui a recruté les musiciens pour ce projet.
La chanteuse folk canadienne Kyrie Kristmanson a, elle, été intriguée par sa collaboration avec la machine : «On sent que ce sont des morceaux qui n’ont pas été pensés par des cerveaux humains». D’ailleurs certaines mélodies proposées dépassent les capacités vocales humaines, explique-t-elle. La production de musique à base d’IA devrait rapidement se démocratiser. Autres géants technologiques présents sur le créneau des «logiciels musiciens», outre Sony, Google Magenta ou Watson Beat d’IBM s’essaient aussi à la composition.
AFP / Le Quotidien.