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Libye : un musée  d’art moderne «familial»


(Photo : afp)

Premier musée de la sorte en Libye, la «maison» d’Ali Gana célèbre l’artiste, décédé en 2006, mais compte aussi éduquer à travers l’art dans un pays où la culture a longtemps été délaissé. Visite.

Une fois poussé le grand portail, un jardin foisonnant accueille le visiteur du premier musée d’art de Libye, créé par les descendants du grand artiste Ali Gana, et conçu comme un lieu de créativité et d’éducation. Il a fallu dix ans pour que Hadia Gana, cadette des quatre enfants d’Ali Gana, disparu en 2006 à l’âge de 70 ans, inaugure le musée dans la maison familiale, construite par l’artiste, en périphérie de Tripoli. Aidée de bénévoles et forte d’une détermination sans faille, cette dernière a transformé cette villa de style classique en musée tout en préservant l’intimité de sa famille, installée dans une autre aile.

Aujourd’hui, «Bayt Ali Gana» (Maison d’Ali Gana) est un lieu chargé de souvenirs autant que d’espoir dans une Libye constamment sur le fil du rasoir entre guerre et paix, où l’art et la culture sont délaissés. Le «Bayt», c’est «le premier et unique musée d’art moderne en Libye», explique Hadia Gana. S’il existe des galeries, elles se concentrent sur la vente d’œuvres sans s’inscrire dans une démarche exclusivement artistique. Dans ce pays miné par les divisions et les violences entre camps adverses depuis la chute du dictateur Mouammar Kadhafi en 2011, «l’art vient en toute dernière place. Il est perçu comme quelque chose de superflu», souligne-t-elle.

Une exposition permanente avec des tableaux, des sculptures et des esquisses du maître, formé en Italie, garnit les salles principales. D’autres espaces abriteront expositions temporaires, séminaires et ateliers à thèmes. Perché sur un mur d’enceinte, un vieux conteneur a été aménagé pour héberger une «résidence d’artistes» et aussi accueillir des «curateurs et muséologues», des compétences rares en Libye. Dans un coin du jardin, les visiteurs peuvent déguster une boisson fraîche ou un café dans une réplique à l’identique du Café Saïd, que tenait le grand-père Gana dans la médina de Tripoli.

Partager les connaissances, c’est dans la nature de la maison!

Sous la dictature de Kadhafi, les artistes pratiquaient l’autocensure pour éviter d’être pris pour cible. «On ne s’exprimait pas sur la politique», se souvient Hadia Gana, elle-même artiste céramiste.  Même si le lieu paraît hors du temps, il y a quand même des rappels, ici et là, de la décennie de troubles qui ont suivi le renversement de Kadhafi : accroché au portail qui sépare le musée de la partie privée, on trouve ainsi un panneau routier criblé de balles, ou au pied d’une plante, des obus de mortiers retournés pour ressembler à des fleurs métalliques.

Restée seule pendant la révolution en 2011, Hadia Gana a eu peur de «tout perdre si une roquette touchait la maison» et détruisait souvenirs et autres archives, d’où l’idée de bâtir un musée. Pour elle et sa famille, ce furent en effet dix années de galères : combats sporadiques, coupures d’eau ou encore d’électricité, isolement forcé de la pandémie de covid… Elle a dû s’improviser menuisier, carreleur, maçon et même plombier avec des fonds limités, la famille préférant se passer de l’aide de l’État ou d’investisseurs pour conserver son indépendance. Et progressivement, le projet de musée s’est transformé en centre culturel.

La vocation d’Ali Gana était «d’enseigner et éduquer à travers l’art» donc le musée «n’est pas un mausolée», explique Hadia Gana, soulignant que son père a aussi consacré sa vie à documenter les artisanats et métiers libyens, dont certains ont disparu. Après son coup d’État en 1969, Kadhafi a en effet interdit le secteur privé : entreprises, commerces et habitations et «pendant quarante ans, l’artisanat est devenu une activité hors-la-loi», raconte Mehdi Gana, fils aîné du maître, qui vit aux Pays-Bas. L’artiste s’est alors lancé dans une course contre la montre pour «constituer des archives afin de rattacher le passé de la Libye à un avenir possible», note-t-il.

«Partager les connaissances, c’est dans la nature de la maison!», souligne sa mère Janine Rabiau-Gana, âgée de 84 ans, une Normande qui a enseigné à l’école française de Tripoli et a fait don au musée de la bibliothèque familiale. Si ailleurs dans le monde, un musée est par définition un lieu d’éducation, «ici en Libye, nous n’avons pas encore cette notion», renchérit encore Hadia Gana, heureuse d’avoir «évité d’en faire un musée où tout serait figé». «Je voulais quelque chose de vivant, presque ludique, et surtout, un endroit qui éveille la curiosité dans toute sa beauté.»

 

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