Jugé trop ou pas assez nationaliste, l’hymne national allemand est au centre d’un vif débat dans un pays toujours taraudé par son identité, 70 ans après sa renaissance d’après-guerre et 30 ans après la chute du Mur.
La controverse a rebondi ces derniers jours en provenance d’un État régional de l’ex-RDA, la Thuringe, dirigé par Bodo Ramelow. Cet élu de la gauche radicale a demandé un nouvel hymne que les Allemands, de l’Est comme de l’Ouest, pourraient « tous chanter avec joie ». Pour lui, de nombreux habitants de l’Est rechignent à entonner l’hymne, qui dans sa forme actuelle fut d’abord celui de la République fédérale d’Allemagne créée à l’ouest en 1949 après la Deuxième guerre mondiale, et reste à ses yeux identifié à l’Allemagne nazie. « J’aimerais que nous ayons un hymne national vraiment commun », explique Bodo Ramelow, le seul président de région issu du parti Die Linke. Il plaide pour un nouveau texte « suffisamment accrocheur pour que tout le monde puisse s’y identifier et dire : ça m’appartient ».
Connotation nazie
L’hymne actuel est le troisième couplet du Chant de l’Allemagne, composé en 1841 par l’écrivain August Heinrich Hoffmann von Fallersleben. Il prône « unité, droit et bonheur », les « fondations du bonheur ». Depuis la deuxième guerre mondiale, les deux premiers couplets, glorifiant une Allemagne « par-dessus tout au monde » (Deutschland über alles), sans être interdits, ne sont plus chantés, sauf par les militants d’extrême droite. Car il a été utilisé par les Nazis notamment pour glorifier leur ambition de domination de l’Europe.
Mais le reste de l’hymne pose aussi problème pour Bodo Ramelow : « Je chante le troisième couplet de notre hymne national, mais je ne peux oublier l’image des marches nazies de 1933 à 1945 », souligne-t-il. Et le sulfureux premier couplet, souligne-t-il, est entonné de plus en plus fréquemment, en particulier par des membres du parti d’extrême droite AfD, très puissant en ex-Allemagne de l’Est.
Pour remplacer l’hymne actuel, Ramelow reprend une proposition de 1990 formulée par le seul et unique Premier ministre de RDA élu démocratiquement, Lothar de Maizière, qui avait proposé que l’Hymne des enfants, composé à partir d’un poème de Bertolt Brecht, devienne l’hymne de l’Allemagne réunifiée. Ce pavé dans la mare, dans un pays qui offre un paysage politique, social et économique toujours plus fragmenté, a immédiatement suscité des réactions épidermiques.
Les homologues de Ramelow à la tête des autres États d’ex-Allemagne de l’Est, de droite comme de gauche, s’en sont vivement démarqués. « Nous devrions porter notre attention sur les questions sur lesquelles il est urgent d’agir, comme le redressement du secteur de l’énergie ou l’évolution des prix de l’immobilier », s’est emporté Reiner Haseloff, ministre-président de Saxe-Anhalt et membre du parti conservateur d’Angela Merkel.
Polémique « inutile »
« Il y a des débats plus cruciaux pour achever l’unité allemande, comme le montant des pensions », a renchéri Manuela Schwesig, dirigeante social-démocrate de Mecklembourg-Poméranie. « Avec sa proposition, il affaiblit l’identification des citoyens à notre Etat au lieu de la renforcer », a regretté pour sa part Tobias Hans, successeur de la dauphine d’Angela Merkel, Annegrett Kramp-Karrenbauer, à la tête de la Sarre.
La presse allemande s’est elle aussi montrée sévère : Bild, le quotidien le plus lu d’Allemagne, se demandant en Une « ce que Ramelow a contre notre bel hymne ». Pour Die Welt, ce type « aussi inutile qu’indéfendable » de polémiques, issues des extrêmes gauche ou droite, porte atteinte à l’équilibre « délicat » du pays.
Dans une Allemagne qui garde un rapport complexe à son histoire, marquée par la barbarie nazie puis la partition durant plusieurs décennies, l’hymne suscite à intervalles réguliers des controverses. En 2018, la commissaire à l’égalité des chances, Kristin Rose-Möhring, avait ainsi suggéré que le terme « Vaterland » (terre paternelle) soit remplacé, pour un hymne moins masculinisé, par « Heimatland », une notion allemande qui évoque « l’endroit d’où l’on est ».
LQ/AFP