« Saluton » (Salut) lance, souriant, le président de l’association d’espéranto de Bialystok, ville natale du médecin juif polonais Ludwik Zamenhof. Preuve que la langue universelle qu’il a créée reste en bonne forme 100 ans après sa mort.
« Zamenhof a créé l’espéranto en contre-poids des langues nationales qui, selon lui, divisaient les gens et provoquaient des conflits », explique Przemyslaw Wierzbowski, 30 ans.
« Aujourd’hui, on sait que ce sont les différences de niveau de vie, différences ethniques ou religieuses qui divisent les gens, mais l’espéranto a toujours pour vocation de les unir, de les aider à communiquer », ajoute-t-il, assis au Café Esperanto dans une tour trônant sur la place du marché de Bialystok, dans l’est de la Pologne.
Au XIXe siècle, la tour, à quelques centaines de mètres du lieu où Zamenhof naquit le 15 décembre 1859, était le lieu d’un marché, avec des échoppes juives, polonaises, allemandes et lituaniennes. Bialystok appartenait alors à l’empire russe et connaissait des tensions ethniques.
C’est cette tour Babel locale qui aurait inspiré le jeune Ludwik à créer une langue universelle pour favoriser les échanges entre les peuples et apporter la paix au monde.
Il va poursuivre des études de médecine à Moscou et à Varsovie. Jeune médecin, il publie en 1887 son premier livre sur la langue internationale qu’il signe Doktoro Esperanto (celui qui espère).
L’espéranto connait un essor sans précédent. En 1905 plus de 300 sociétés d’espérantistes sont déjà enregistrées dans le monde. La même année, près de 700 personnes venues d’une vingtaine de pays, participent au premier congrès mondial à Boulogne-sur-Mer.
Zamenhof est nommé une douzaine de fois au prix Nobel de la Paix, sans l’obtenir. Il meurt à Varsovie le 14 avril 1917.
Dès les années 1920, le mouvement shintoïste japonais Oomoto le considère comme un Dieu et propage l’espéranto comme une « langue des cieux » pour construire un monde sans guerres.
Aujourd’hui, entre un million et un million et demi de personnes pratiquent l’espéranto à travers le monde, selon différentes estimations. En 2012, Google l’ajoute à son service de traduction en ligne. En 2016, le 101e congrès a réuni à Nitra en Slovaquie quelque 1.400 participants de 60 pays.
Parmi les 3.200 volumes de la bibliothèque d’espéranto de Bialystok des grands classiques: « Tincjo, La krabo kun oraj pinciloj » (Tintin, Le crabe aux pinces d’or), ou « Asteriks kaj la Normanoj » (Asterix chez les Normands). Plus loin, « La Mastro de l’Ringoj’ (Le Seigneur des Anneaux) de J.R.R Tolkien.
L’écrivain militait d’ailleurs vers 1932 dans le mouvement espérantiste. Selon lui, une langue artificielle était « nécessaire à l’unification de l’Europe ». Il a également co-signé un appel « pour encourager son usage dans les écoles du monde ».
« J’ai toujours rêvé de faire le tour du monde, et avec l’espéranto, je l’ai fait. Rares sont les pays où je n’ai pas encore été », explique Elzbieta Karczewska, une juriste à la retraite qui s’occupe de la bibliothèque du centre Zamenhof à Bialystok. Son dernier voyage: le Népal.
En effet, un vaste réseau d’enthousiastes facilite les échanges.
« Lorsque j’ai participé à mon premier congrès, il y avait des gens d’Iran, du Sénégal, d’Afrique du Sud. J’ai alors compris qu’il y avait plus de choses qui nous unissaient que de celles qui nous divisaient », explique Przemyslaw Wierzbowski.
C’est dû surtout à la simplicité déconcertante de l’espéranto. A un millier de mots de base, dont 75% ont des racines latines et romanes, 20% germaniques, le reste slaves et grecs, s’ajoute 16 règles de grammaire, sans exceptions.
Chaque année, entre 30 et 4O personnes s’inscrivent en cours à Bialystok.
« Cu vi havas cevalon? » (Est-ce que tu as un cheval?) – dans la salle de l’ancienne synagogue de Bialystok, une dizaine de personnes s’adonnent au jeu des sept familles en espéranto qui les aide à retenir la construction des mots.
« Au début, il faut construire une base de mots. Après, avec un seul, on peut en créer dix nouveaux, ajoutant des préfixes et des suffixes », explique Iwona Zalewska, enseignante d’espéranto.
« Je l’ai appris pratiquement en un mois et demi », confirme Amélie Chartier, une Française de 22 ans venue à Bialystok dans le cadre d’un bénévolat européen. Des linguistes pensent que l’apprentissage de l’espéranto facilite grandement l’enseignement d’autres langues.
L’espéranto évolue toujours. « Récemment, on s’est demandé quel nom donner au drone, c’est ‘drono’ qui a gagné », explique Wierzbowski.
Plusieurs mots sont déjà entrés dans le langage courant tel ‘Veturilo’ – le système de vélos municipaux de Varsovie et le nom de la boisson Mirinda. Il veut dire ‘extraordinaire’. Esperanto estas mirinda!
Le Quotidien / AFP