Qu’elles traitent du retour au pouvoir des talibans en Afghanistan ou de l’ascension du fascisme en Italie, les séries à l’accent géopolitique présentées au festival Séries Mania résonnent fortement avec les désordres du monde.
Après des années postcovid davantage tournées vers «l’intime», la sélection 2025 du festival Séries Mania, plus grand évènement en Europe dédié au format, signe «très clairement le retour des grandes séries géopolitiques», constate sa directrice générale, Laurence Herszberg. Au menu du festival, qui se déroule jusqu’à vendredi à Lille : une plongée dans la guerre de Bosnie en 1993 à travers les yeux de Casques bleus suédois (A Life’s Worth), un huis clos dans un hôtel suisse pendant les négociations sur le nucléaire iranien en 2015 (The Deal) ou encore un thriller d’espionnage entre Munich et les kibboutz des années 1970 (The German). Selon la directrice, de telles productions «aident à comprendre le monde», en jetant «un œil sur le passé avec une perspective contemporaine» et des «personnages forts».
La plus proche du temps présent, Kaboul, revient sur la prise de la capitale afghane par les talibans le 15 août 2021, à l’heure du retrait des troupes américaines après vingt ans de guerre. Vaste coproduction européenne, cette série chorale, disponible depuis hier sur la plateforme France.tv, suit une famille afghane tentant, comme des milliers d’autres, de fuir le pays. Elle relate aussi comment policiers français, diplomates italiens, militaires allemands ou encore services secrets américains ont fait face à l’afflux de civils.
«En s’intéressant à ce qui s’est passé en Afghanistan, on comprend un peu mieux ce qui nous arrive aujourd’hui» avec la guerre en Ukraine, a estimé le coscénariste Thomas Finkielkraut. Kaboul, c’est le «temps 1 de l’abandon américain général vis-à-vis du monde», a-t-il ajouté, rappelant que «c’est Donald Trump qui a signé les accords de Doha» en 2020, ouvrant la voie au retrait des troupes américaines.
Impossible également de ne pas penser au président américain en regardant M – Il figlio del secolo, et plus largement à la montée du populisme dans le monde. Adaptée du premier tome du roman d’Antonio Scurati sur Benito Mussolini, cette série cinglante réalisée par le Britannique Joe Wright (Pride and Prejudice, Hanna…) a été acclamée en septembre à la Mostra de Venise, et ses deux premiers épisodes ont réuni plus d’un million de téléspectateurs sur Sky en Italie en janvier. On y suit l’ascension de Benito Mussolini, de la création en 1919 de son mouvement politique, les Faisceaux italiens de combat, jusqu’au tournant dictatorial de 1925, après l’assassinat du député socialiste Giacomo Matteotti par des membres de la police politique.
«Make Italy great again»
Campé par Luca Marinelli (Martin Eden, Le otto montagne…), le «Duce», incarnation de la «masculinité toxique», y brise le quatrième mur, dévoilant aux téléspectateurs les recettes du populisme, qu’«il a inventé», selon le créateur de la série, Stefano Bises. «C’est le premier qui a compris qu’il fallait parler au ventre des gens, pas à la tête (…) il transformait la peur en haine», explique celui qui fut déjà créateur de la série Gomorra. Le parallèle avec Donald Trump devient limpide à la fin du quatrième épisode, quand Mussolini lance, face caméra et troquant l’italien pour l’anglais : «Make Italy great again».
Stefano Bises assure en revanche que la série n’est «pas forcément contre» la Première ministre italienne d’extrême droite, Giorgia Meloni, mais «contre le totalitarisme, le populisme et les menaces à la démocratie». «Le problème, c’est que dans (son) parti il y a beaucoup de gens qui croient que Mussolini a été un grand homme d’État, qui a fait beaucoup de très bonnes choses pour le pays jusqu’à l’alliance avec Hitler, ce qui n’est pas vrai», relève Stefano Bises, évoquant une «dictature féroce, brutale».
Avec cette œuvre un «un peu rock, un peu pop, un peu punk», rythmée par la musique de Tom Rowlands, membre des Chemical Brothers, Stefano Bises espère aussi atteindre une audience jeune. Et rappeler que «le fascisme a été une chose horrible» et qu’«on ne peut pas risquer qu’il revienne, même avec des habits différents». Si la série est attendue un peu partout en Europe courant 2025, elle n’a toutefois pas encore trouvé de distributeur aux États-Unis, selon son créateur. Signe des temps?