Accueil | Culture | Les tambours royaux du Burundi, un «joyau national» sous contrôle

Les tambours royaux du Burundi, un «joyau national» sous contrôle


Avec une force monumentale et un plaisir non dissimulé, la trentaine de tambourinaires battent avec précision leur énorme tambour de bois, «joyau national» du Burundi inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, mais maintenu sous contrôle par le pouvoir.

Même l’air tremble. Pieds nus sur la terre ocre, une trentaine d’artistes – silhouettes athlétiques drapées des couleurs du Burundi – frappent la peau puis les flancs sourds de l’instrument, chantent, virevoltent, avec pour décor les collines innombrables de ce pays d’Afrique des Grands Lacs.

«Nous battons le tambour parce que c’est notre vocation, parce que nous avons ça dans le sang», raconte après la performance, le visage ruisselant de sueur, le chef tambourinaire Oscar Nshimirimana, 43 ans. «Ce n’est pas seulement mon père qui battait le tambour, mais tous mes arrières-grands-parents», ajoute le leader de la troupe de Gishora.

Cette localité proche de la capitale politique Gitega est connue dans tout le pays comme un sanctuaire du tambour burundais, dont la troupe constitue une élite. En janvier, le président Évariste Ndayishimiye a fait sensation en prenant part à leur spectacle.

Mais ce petit pays de 12 millions d’habitants regorge de dizaines d’autres troupes, professionnelles ou amateures, qui s’entraînent, jouent lors d’évènements officiels, de mariages ou de baptêmes et s’affrontent lors de compétitions.

L’immense diaspora n’est pas en reste : du Canada au Kenya en passant par la Belgique, on retrouve des tambourinaires sur au moins trois continents. «La danse rituelle au tambour royal est restée, jusqu’à aujourd’hui, l’élément joyau du patrimoine immatériel qui fait la fierté des Barundi (NDLR : habitants du Burundi)», loue un document du ministère de la Culture. «Les bonds prodigieux, les pirouettes, les clins d’œil à l’adresse des spectateurs (…) tout cela a toujours marqué cette danse, comme porteuse d’une tradition hors du commun dans l’ensemble de la percussion africaine et mondiale.»

Interdit aux femmes

Remontant au XVIIe siècle, la tradition du tambour («ingoma» en kirundi) symbolisait dans le Burundi monarchique le caractère sacré et intemporel de la royauté. Lorsqu’un roi accédait au pouvoir, on disait qu’il montait sur l’«ingoma».

Au Burundi, les tambours les plus précieux portent un nom. Et si plusieurs ont disparu, deux d’entre eux – Ruciteme et Murimirwa – sont religieusement conservés à Gishora, trônant au milieu d’une case traditionnelle de paille.

Longtemps, ils ne pouvaient être taillés que dans de gigantesques troncs d’«umuvugaangoma» («l’arbre qui fait parler le tambour»), à l’issue d’une cérémonie rituelle. Reconnaissant la force de cette tradition, l’Unesco a inscrit le tambour burundais au patrimoine mondial de l’humanité en 2014.

Nous battons le tambour parce que c’est notre vocation, parce que nous avons ça dans le sang

Peu après, en 2017, le pouvoir burundais, régime autoritaire issu d’une ancienne rébellion armée, a instauré un contrôle strict de la pratique. Certains aspects de la loi ont entériné des règles anciennes, mais quelque peu oubliées, comme l’interdiction pour les femmes de jouer.

D’autres ont rigidifié la pratique, tel l’enregistrement de chaque troupe auprès des autorités ainsi que la délivrance, pour chaque évènement privé, d’une autorisation assortie du paiement par le client d’une taxe de 500 000 francs burundais (235 euros), une coquette somme dans un pays très pauvre.

Pour Aimable Nkunzumwami, conseiller au cabinet du ministre de la Culture, le gouvernement se doit, d’autant plus depuis l’inscription à l’Unesco, de faire «respecter l’identité culturelle» du tambour. «C’est le gouvernement qui (doit) protéger le tambour burundais, c’est la raison pour laquelle il réglemente», explique-t-il.

En février, une troupe de tambourinaires a fait scandale en jouant lors d’un festival… en costumes noirs. Le festival a été arrêté et la troupe suspendue pour six mois.

Volonté opportuniste

À Bujumbura, la troupe amateure de Calixte Irantije, un ingénieur de 27 ans, s’entraîne deux fois par semaine après le travail dans un amphithéâtre en plein air.

«Ces règles ont causé la réduction des demandes (…) cela a eu un grand impact sur les marchés qu’on avait avant», explique-t-il. «Maintenant, on participe dans des fêtes qui sont connues par le gouvernement. On joue dans certains mariages de quelques individus (NDLR : qui ont une autorisation) et les cérémonies officielles du gouvernement», poursuit-il.

En 2017, de nombreux Burundais, notamment de la diaspora, ont dénoncé sur Twitter «une dérive monarchique» du pouvoir. «Le tambour n’appartient plus au citoyen burundais, il appartient au gouvernement», avait ainsi déploré Pacifique Nininahazwe, un des leaders de la société civile en exil.

Pour l’analyste Julien Nimubona, ces restrictions n’illustrent pas une «stratégie de contrôle autoritaire», mais plutôt une volonté opportuniste de profiter financièrement de l’inscription à l’Unesco. «Ça nous a enlevé un bien, qui était nôtre», admet cependant ce professeur de sciences politiques à l’université du Burundi.