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Les séries audio : menace ou opportunité pour le cinéma?


Succès tonitruant produit par Canal+, la série audio Calls a réussi à réunir des personnalités prestigieuses du cinéma français, de Charlotte Le Bon (photo) à Mathieu Kassovitz.

Longtemps considéré comme le parent pauvre du cinéma, le son s’affranchit désormais de l’image, porté par un marché du podcast et du livre audio en plein boom.

La salle est rectangulaire, plongée dans le noir et entièrement insonorisée. En son centre, deux personnes se font face devant un micro. Entre elles, lové dans un fauteuil, un troisième homme les interrompt : «On la refait, moins lu cette fois. Et… Action !» Bienvenue sur le tournage d’une séance d’enregistrement de la fiction audio Batman Autopsie. Diffusée sur Spotify au printemps, dans neuf pays, cette superproduction a fait le pari osé de transposer l’univers si cinématographique du superhéros dans celui du son uniquement.

Du succès tonitruant de la création Canal+ Calls à ceux de L’Employé sur Spotify ou de Mon prince à la mer sur ARTE, les séries audio ne sont pas une nouveauté. Mais depuis quelques mois, leur production s’est accélérée et professionnalisée. Contes pour enfants, thrillers, comédies… À chaque fois, du contenu pour toutes les audiences.

«L’explosion des écoutes des contenus audio était déjà largement enclenchée mais a été accélérée par le confinement. Je pense que, plus que jamais, on avait besoin et on continue à avoir besoin de ces bulles, de cet espace intime qui nous permet de nous évader», avait déclaré en février, au moment de la présentation à la presse de Styx, leur nouvelle création audio, Ainara Ipas, la patronne d’Audible France, propriété du géant Amazon.

«Pratique complémentaire»

Alors que les salles de cinéma n’ont toujours pas renoué avec leurs chiffres de fréquentation précovid-19, ces séries audio menacent-elles le 7e art? «On est dans une pratique complémentaire. Écouter une série audio n’empêche pas d’aller au cinéma», estime la productrice Léa Marchetti. Elle qui baigne depuis des années dans cet univers a coréalisé, avec Charles de Cillia, Bonne nuit ma douce, fiction audio épurée sortie le 23 juin sur les plateformes de streaming musical.

Même tonalité pour l’étoile montante du cinéma tricolore Dali Benssalah, qui a prêté sa voix à Batman et également participé à la fiction Styx : «C’est une nouvelle plateforme, c’est une nouvelle façon de divertir les gens et de raconter de belles histoires», avait confié celui qui occupait l’un des rôles principaux de la série d’espionnage Les Sauvages, sur Canal+, puis que l’on a vu dans le dernier James Bond, No Time to Die, et qui sera en haut de l’affiche du prochain film de Romain Gavras, Athena, attendu d’ici la fin de l’année sur Netflix.

«Sensations indépassables»

Depuis l’apparition du cinéma, «le son a toujours été pensé comme le complément indispensable à l’image», rappelle Daniel Deshays, un des grands spécialistes du son en France. Aujourd’hui, les séries audio sont parvenues à une minirévolution : que le son se consomme seul. «Le son renvoie chacun à sa mémoire personnelle, ce que ne fait pas l’image, souligne Daniel Deshays. On a découvert une conscience de l’écoute. Moment avec soi face à la surcharge sonore du monde. Le son nous extrait de ça et nous renvoie dans un autre univers.»

«On est sur des usages connectés très simples d’accès, sur son téléphone et la tablette, et on va répondre à des attentes, notamment de personnes qui se sont éloignées de la lecture, physique ou numérique, qui sont un peu rebutées par la lecture. Principalement les hommes entre 18 et 35 ans, qui abandonnent massivement. L’audio va être un moyen pour eux de reconnecter avec ce type de contenus», analyse pour sa part Ainara Ipas.

Reste que pour l’historien du cinéma et professeur à l’université Lyon 2 Martin Barnier, rien ne remplacera l’expérience du cinéma. «Regarder Batman sur écran géant avec un son qui fait vibrer la salle, c’est une expérience unique. Même si vous avez un super casque chez vous, ce ne sera jamais au niveau d’une salle de cinéma. Ces sensations sont indépassables.»