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Les rues d’Alger envahies par des « rats du ciel »


Ces dernières années, les Algériens assistent à la colonisation de leur ville par ce volatile, désormais surnommé "le rat du ciel". Car il se nourrit en faisant les poubelles et non plus en pêchant les produits de la mer. (photos AFP)

« C’est pas un oiseau, c’est un rat ! Et il squatte ma terrasse », s’exclame nerveusement Ali, la soixantaine, en désignant le goéland leucophée qui a élu domicile sur sa bâtisse à l’ouest d’Alger.

Ces dernières années, les Algériens assistent, impuissants, à la colonisation de leur ville par ce volatile, désormais surnommé « le rat du ciel ». Car il se nourrit en faisant les poubelles et non plus en pêchant les produits de la mer. Depuis une quarantaine d’années, le goéland leucophée connaît une explosion démographique sur les côtes de la Méditerranée où il est devenu l’oiseau marin le plus répandu. « Cette évolution (…) a entraîné une extension de l’aire de reproduction et la colonisation d’autres milieux, notamment urbains », explique Nawel Derradji, doctorante en écologie animale à l’université de Bab Ezzouar à Alger.

D’une allure fière et robuste, le leucophée est doté d’une forte poitrine, de longues pattes orangé-vif et d’un bec court et épais avec une tâche rouge sur la partie inférieure. Mais malgré sa beauté, il est loin d’être un voisin apprécié. En Algérie, plusieurs villes font l’objet d’une étude pour mettre en évidence l’ampleur de sa colonisation. « Sur les 25 dernières années, la moyenne de la croissance des goélands leucophées a doublé et dans certains endroits, elle a bondi de 400% », relève le professeur Riadh Moulai, de l’université de Béjaia.

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Agressif, bruyant et très salissant

Cet oiseau de la famille des laridés est envahissant, agressif, bruyant et très salissant. C’est également un prédateur des espèces urbaines, notamment aviaires, ajoute Nawel Derradji. Plusieurs témoignages évoquent des attaques de petits oiseaux, réduisant leur nombre dans certains endroits. Ali, retraité, se défend de ne pas aimer les animaux mais « cette plaie » l’empêche quasiment d’utiliser sa terrasse. « Il n’est plus possible d’étendre du linge ou de s’asseoir un moment, il y a trop de saletés. Il défèque partout », peste-t-il, disant « regretter », avec un sourire narquois, que le volatile ne soit pas comestible car « cela aurait limité sa prolifération ».

Le leucophée s’est adapté en passant « d’un régime aquatique à un régime terrien, issu essentiellement des décharges à ciel ouvert dans lesquelles il trouve des ressources alimentaires abondantes, facilement accessibles et régulièrement renouvelées », explique Nawel Derradji. Alors qu’il se reproduisait en colonie, le « tchoutchou maleh » comme l’appellent les Algérois adopte un comportement solitaire et agressif et s’approprie une aire géographique importante en nichant sur les terrasses, qu’il assimile aux falaises de son milieu naturel. En changeant de milieu de reproduction, le « Larus michahellis » s’est adapté aux matériaux de la ville pour construire ses nids. Certains sont faits de chiffons, d’ossements, de plastique…

« Pas besoin de poubelle »

Dans l’agglomération algéroise, une étude a recensé plus de 150 nids recensés contre trois en 2001. Un chiffre qui ne reflète pas la réalité car les nids de cette espèce sont très difficiles à localiser, souligne Nawel Derradji. L’oiseau n’a aucun impact positif en milieu urbain mais il « sera de plus en plus présent en ville », prévient le professeur Moulai. Or, la gestion des différents types de nuisances générées par sa surpopulation s’avère problématique. La diminution ou la fermeture des décharges à ciel ouvert s’accompagnerait d’une réduction drastique de cette espèce dans les villes, préconise le chercheur.

Malgré sa mauvaise réputation, le goéland a des fans. Comme Rachid, pêcheur à Tamentfoust (25 km à l’est d’Alger) qui s’est accommodé de ses nouveaux voisins. « Quatre couples vivent sur ma terrasse depuis plusieurs années. Il m’arrive de leur apporter des sardines en fin de journée. Je dépose le poisson et ils se servent. C’est incroyable », raconte ce sexagénaire. De son côté, Aïcha cohabite depuis trois ans avec un couple de goélands et leurs petits. Comme ils « mangent tous les restes, pas besoin de poubelle », relativise-t-elle en riant.

Le Quotidien/AFP