Les Rotondes célèbrent dix ans de «Hip Hop Marathon» depuis mercredi et encore ce jeudi. Avec 150 lycéens du pays qui assurent le show, la culture hip-hop est à l’honneur… et quelques futurs talents se révèlent.
Mercredi soir, la grande salle des Rotondes était tout entière à eux. Inutile de dire qu’ils ont tout donné. Dès l’après-midi, pendant les répétitions, les lycéens qui ont participé à la dixième édition de ce «Hip Hop Marathon» étaient en feu. La bonne attitude à adopter pour cette édition anniversaire qui est aussi un double évènement, puisqu’il s’agit, pour certains des participants déjà inscrits pour l’édition 2020, d’un projet annulé qui voit enfin le jour. Soumis à conditions, bien sûr : pour éviter les rassemblements trop nombreux, les 150 participants sont scindés en deux pour une double représentation. Deux moitiés composées, pour chacune, de huit groupes, avec quatre disciplines représentées, en lien avec le hip-hop et sa culture : le rap, le beatbox, la danse et le graffiti.
De Clervaux à Sanem, de Junglinster à Diekirch, en passant, bien sûr, par la capitale, les jeunes participants sont venus de tout le Grand-Duché pour montrer de quoi ils sont capables. Le travail, encadré par des artistes du pays – dont certains bien connus, comme le danseur Marc Folschette ou le rappeur Maz – est présenté après trois mois d’efforts ou plus, selon les pratiques.
«On a tout fait ensemble», indique Maz, alias de Thomas Faber, qui a encadré deux classes en ateliers rap, à raison de six interventions pour chaque groupe entre janvier et mai. «Au début, je les laissais un peu écrire, faire leur truc tout seuls. Puis je les ai aidés à sortir leurs idées, à mettre tout ça en forme et, bien sûr, à mettre le texte en pratique, c’est-à-dire à le rapper.»
Danser sur scène, écrire «en scred»
La culture rap, les futurs talents n’ont pas attendu d’être sur la scène des Rotondes pour se l’approprier. Malgré les voix qui se lèvent pour défendre l’ultrapopulaire K-pop, «on est tous très fans de rap», assure Sydney. Plusieurs de ses camarades jouent même les rappeurs, consciemment ou non, dans les postures et les attitudes. De là à rapper devant un public, il y a un fossé. D’ailleurs, Sydney et sa clique du lycée Nordstad, à Diekirch, ont plutôt jeté leur dévolu sur le beatbox. Pourquoi ? «On n’a pas trop eu le choix», lâche sans attendre Enzo, faussement dépité. Et s’il aurait préféré participer à l’atelier danse, il a tout de même bien assuré au micro.
À côté de lui, Fabricio a l’air timide. Si lui a préféré le beatbox au rap, c’est pour une raison très simple : «Je cache mes talents.» Son laconisme fait rire toute la petite équipe, lui compris, mais derrière ses lunettes de soleil aux verres fumés – presque les mêmes que le rappeur Ninho, dont il est fan – il est très sérieux. Pour participer à l’atelier rap, «il fallait écrire un texte, mais moi, j’ai déjà les miens». Et développe : «Ça fait environ un an que j’écris des textes, en français et dans ma langue aussi, le créole.» Écrire «en scred», c’est bien, mais avec le «Hip Hop Marathon», il peut aussi récupérer quelques contacts et voir plus loin. «Pour l’instant, soutient Fabricio, c’est juste un délire. Je ne suis pas motivé à 100 % pour faire ça.» La future carrière attendra bien encore un peu…
Ça fait longtemps que je n’ai pas vu de jeunes aussi doués : ils ont le rythme, le « flow », l’envie de travailler, la passion…
Au sein des ateliers, pourtant, tous les artistes qui ont encadré les lycéens sont formels : qu’ils pratiquent déjà ou non l’une ou l’autre discipline en amateur, ils ont tous bossé dur pour être au même niveau. Tous les ateliers sont mixtes et, sans surprise, c’est en danse qu’il a fallu faire le plus d’efforts pour ramener tout le monde au même niveau. Cela dit, Marc Folschette a remarqué «des talents incroyables» parmi les débutants. Et a déjà une réponse à cela : «C’est à cause des réseaux sociaux. Aujourd’hui, les jeunes dansent tous sur TikTok. C’est déjà une bonne base…» Le danseur, qui pratique depuis 2001, garantit même qu’il a repéré «de vrais talents». «Ça fait longtemps que je n’en ai pas vu d’aussi doués : ils ont le rythme, le flow, l’envie de travailler, la passion… J’espère que des portes s’ouvriront pour eux. J’espère surtout qu’ils ne vont pas lâcher du tout la danse.»
«FIFA, ça compte ?»
Après une édition 2020 annulée, cette édition anniversaire, qui a pour thème «Let’s celebrate !», avait de quoi inspirer les rappeurs en herbe. Le Covid et le mouvement Black Lives Matter ont beaucoup inspiré les MCs de l’autre côté de l’Atlantique et en Europe, mais pour leurs textes, les participants au «Hip Hop Marathon» avaient «plutôt envie de parler d’eux-mêmes, de leur vie», indique Maz. Ceux qui jouent selon les règles du «trash talk» et du «show off» de cour d’école adaptent aussi à leur image l’«ego trip», très présent dans le rap français, qu’ils adorent. Ils connaissent leur Leto, leur Ninho, leur Gazo, même leur Booba sur le bout des doigts. Mais «au début», se rappelle Maz, «j’étais choqué qu’ils associent tout de suite le rap avec la drogue, les flingues, bref, tous les stéréotypes qu’on peut imaginer». «Alors j’ai pris une heure pour leur expliquer que le rap, ce n’est pas vraiment ça. Ils l’ont compris et on a fait notre truc. Je suis content que ça marche.»
On est chauds ! On est prêts à casser la baraque !
L’«ego trip» continue même hors scène : pendant que les jeunes de l’atelier beatbox discutent entre eux, un de leurs camarades de classe s’incruste. Lui a fait le show dans sa catégorie, la danse. Il se présente comme Mohammed Ali, rien que ça. Et enchaîne : «Si j’avais pris le rap, j’aurais tout gagné !» Et s’il avoue qu’il écrit, lui aussi, des textes, impossible d’en savoir plus. Le jeune est une pile électrique, personne ne peut en placer une. Son public est déjà conquis, mais il continue d’assurer le spectacle. Raconte que son nom lui vient de sa pratique sportive, la boxe. En fait non, le foot. Finalement, ce sera bien la boxe… mais un peu de foot aussi. «FIFA, ça compte ?»
L’énergie générale est galvanisante. D’ailleurs, Marc Folschette décrit simplement ses protégés à la répartie ardente comme «des tarés», dans un éclat de rire. «Ce n’est pas pour rien qu’ils ont pris le nom de « Crazy Heads »…» Mais leur dynamisme intarissable, les blagues qu’ils se lancent à tour de rôle et les genres qu’ils se donnent sont aussi le meilleur moyen pour eux de contenir leur émotion et une pointe de stress. Certains, comme Sydney ou Fabricio, semblent s’en être débarrassés. «Au début, avoue Sydney, je transpirais, j’avais les mains moites. Maintenant que je suis passée sur scène, ça va mieux.» Et de savoir que sa famille viendra la voir pour la grande représentation quelques heures plus tard la met encore plus à l’aise. Pour la niaque ou pour la forme, elle lâche un dernier mot avant de monter sur scène : «On est chauds ! On est prêts à casser la baraque !» Ce jeudi matin, ils donnent une deuxième représentation pour les scolaires et passeront le relais, ce soir, aux huit groupes suivants. Qui sont tout aussi bouillants.
Valentin Maniglia
«Hip Hop Marathon», ce jeudi soir à 20 h. Rotondes – Luxembourg.