Les Théâtres de la Ville de Luxembourg ont levé le voile, mardi, sur la programmation de la saison à venir. Une année 2020/2021 qui sera riche, d’une part, en créations et, d’autre part, en invités prestigieux et en œuvres importantes. Avec quelques surprises…
«Nous voulons que le retour au théâtre reste quelque chose de simple» : c’est en ces termes que Tom Leick-Burns a clôturé, mardi, la présentation de la saison 2020/2021 des Théâtres de la Ville de Luxembourg. Car rien n’a été simple, ces derniers mois, pour les Théâtres, les artistes, les équipes et le public. La pandémie de coronavirus ayant, comme partout ailleurs, stoppé la saison dernière en plein élan, l’accueil du public devant le spectacle vivant sera «étrange», forcément, à commencer par la billetterie, qui ne comptera plus sur la caisse du soir ni sur la vente par internet –le vestiaire restera lui aussi inaccessible tant que les mesures de sécurité devront être respectées– et qui verra les demandes d’abonnement revenir au format papier, à l’ancienne.
Simple et étrange, d’accord, mais le retour des Théâtres, en octobre, compte laisser loin derrière cette longue période de fermeture des institutions culturelles avec de très beaux cadeaux qu’il convient de ne pas refuser. Les pièces dont les représentations ont été annulées depuis le mois de mars n’ont pas toutes pu être reprogrammées, mais certaines ont trouvé refuge ailleurs. Ainsi, la pièce de Christiane Jatahy What If They Went to Moscow?, d’après Les Trois Sœurs de Tchekhov, et que Tom Leick-Burns a définie comme «un de (ses) coups de cœur», se jouera à Metz, à l’Arsenal, le 14 mai 2021 – à l’occasion du festival Passages – un an après la représentation annulée au Grand Théâtre. Autre report, Shoot the Cameraman (le 21 juin 2021), spectacle de danse de la compagnie luxembourgeoise AWA coproduit, entre autres, par les Théâtres de la Ville, le Trois C-L et le CAPE.
Treize créations
«La saison se déroulera en deux temps», prévient Tom Leick-Burns, avec «les six premiers mois très axés sur la création théâtrale». Pas moins de treize créations, en effet, verront le jour au cours de la prochaine saison. «L’accompagnement des artistes dans l’acte de création est quelque chose qui nous tient vraiment à cœur», ajoute le directeur.
Et les pièces en question témoignent d’un éclectisme cher aux Théâtres de la Ville, puisqu’elles concernent des textes tantôt classiques, tantôt contemporains (avec des inédits, évidemment) dans de nouvelles mises en scène. D’un côté, par exemple, on trouvera du Musset (On ne badine pas avec l’amour, pour six représentations fin janvier/début février), mis en scène par Laurent Delvert, qui s’était déjà attelé au Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, ou une pièce du XIXe siècle, Hedda Gabler, du Norvégien Henrik Ibsen. Cette dernière ouvrira la saison, le 13 octobre, dans une mise en scène de Marja-Leena Junker et avec, dans le rôle-titre, Myriam Muller, aux côtés de Nicole Dogué, Hana Sofia Lopes et… Tom Leick Burns! «Après de nombreuses années, j’ai repris mes chaussures de comédien pour Marja-Leena», sourit-il. Après tout, accueillir à nouveau son public en faisant partie du spectacle, n’est-ce pas aussi ce qui fait la beauté de la chose ?
Myriam Muller, par ailleurs, emmènera Breaking the Waves, création 2018/2019 qu’elle a mise en scène d’après l’adaptation du film de Lars von Trier par Vivian Nielsen, en tournée pour 17 dates en France et en Belgique. «Le succès et le rayonnement» de la pièce, rappelle Tom Leick-Burns, «ont vraiment changé la donne» pour les Théâtres de la Ville, et si aucune représentation ne sera donnée au Grand-Duché, c’est parce que c’est au tour d’autres publics de découvrir cette expérience unique. Cependant, comme pour What If They Went to Moscow? à Metz, les Théâtres de la Ville invitent le public à les accompagner à Nancy à bord d’une navette pour la dernière représentation.
Thématiques actuelles
On retrouve de l’autre côté, dans les créations contemporaines, Ian De Toffoli (texte) et Sophie Langevin (mise en scène), qui proposeront en novembre une réflexion curieuse sur les nouvelles technologies –par ailleurs largement sollicitées ces derniers mois, pour les raisons que l’on connaît– intitulée AppHuman. Anne Simon, elle, mettra en scène The Hothouse de Harold Pinter (dix représentations entre le 30 mars et le 25 avril 2021) dans sa langue d’origine et dans un lieu encore tenu secret. La raison ? La pièce, écrite en 1958 et mise en scène pour la première fois en 1980 à Londres, a pour décor une institution à la nature ambiguë : hôpital psychiatrique, maison de repos, prison, camp de concentration ? Un peu tout à la fois, et «nous devons trouver un lieu qui rende hommage à cette atmosphère et à la pièce de Pinter», affirme Tom Leick-Burns.
La saison des spectacles s’articulera autour de deux cycles : «Destins de femmes» et «Afrique». Dans le premier, on retrouve Hedda Gabler, mais aussi, en allemand, Die bitteren Tränen der Petra von Kant, estampillée «coproduction maison» et mise en scène par Pauline Beaulieu d’après Rainer Werner Fassbinder (d’abord une pièce, en 1971, puis un film, adapté par son auteur, l’année suivante). À ne pas manquer non plus, Hors la loi de Pauline Bureau, avec la troupe de la Comédie-Française (du 25 au 27novembre) : du théâtre militant qui revient sur le procès de Bobigny ou celui de Marie-Claire Chevalier, arrêtée pour avoir eu recours à l’avortement après un viol. Le procès deviendra une affaire publique en France et contribuera à l’adoption de la loi sur l’IVG. On l’aura compris, ces destins de femmes ont une résonance évidente avec l’actualité et offrent beaucoup de matière à réflexion.
Du côté de l’Afrique, les Théâtres profiteront surtout de la présence de l’artiste pluridisciplinaire William Kentridge, originaire de Johannesburg, en Afrique du Sud et qui s’illustre depuis les années 1970 dans le dessin, le film d’animation, la sculpture ou encore le théâtre et la performance. Kentridge sera l’invité du «Red Bridge Project», la collaboration transversale entre les Théâtres, le Mudam et la Philharmonie, qui avait mis à l’honneur, pour sa première édition la saison dernière, la chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker.
En janvier, un retour à la normalité ?
Du lancement du projet, le 12 novembre, jusqu’à sa clôture en juin prochain, l’artiste sera au centre de discussions, de représentations théâtrales, et même d’un concert et d’une exposition qui lui sera consacrée, au Mudam, à partir du 13 février 2021. Même le TalentLAB, du 28 mai au 6 juin 2021, se mettra au rouge en s’associant avec le Centre for the Less Good Idea, un laboratoire qui est une sorte d’homologue sud-africain, fondé justement par William Kentridge en 2016. Mais le cycle «Afrique» laissera aussi Kentridge de côté pour s’intéresser à autre chose, notamment à la danse, avec Josef Nadj (en février 2021) et le duo composé de Serge Aimé Coulibaly et Rokia Traoré (Kirina, en juillet 2021), pour des histoires et des émotions bien différentes.
Le fameux deuxième temps de la saison, c’est «à partir de janvier», le moment où «la saison recommencera à se dérouler comme d’habitude», promet Tom Leick-Burns. Comprendre: du théâtre, oui, mais aussi de la musique, de l’opéra, de la danse… Le tout à découvrir dès maintenant sur le site internet des Théâtres de la Ville, où l’on peut découvrir le catalogue complet pour 2020/2021.
Et tout au long de la saison, un nouveau rendez-vous mensuel (et gratuit), les «Samedis aux Capucins»: une série de rencontres, de conférences ou de débats autour des pièces proposées et des thèmes qu’elles abordent. Une façon d’entreprendre un travail d’approfondissement autour de sujets aussi larges, importants et variés que l’intelligence artificielle, la représentation des femmes ou encore le rôle de la musique au théâtre. «Une belle façon de renouer le contact avec le public», convient le directeur des Théâtres. Après le théâtre, la plus belle des façons, sans aucun doute.
Valentin Maniglia