La douleur d’Ana Horvatinec, une Croate violée à Vukovar pendant la guerre des années 1990, ne disparaîtra jamais. Mais la récente reconnaissance officielle du statut de victime, deux décennies plus tard, console un peu ces oubliées du conflit.
«Après tout ce qu’on a vécu, nous sommes maintenant reconnues comme victimes et c’est important. Mieux vaut tard que jamais», souffle Ana Horvatinec. Malgré la gravité de ce crime qui a brisé 1 500 à 2 200 personnes, des femmes pour la plupart, toutes avaient jusqu’à maintenant été négligées.
Officiellement, elles ne sont que 147, mais parce que pendant longtemps le sujet fut tabou. Pour réparer l’injustice à leur égard, le gouvernement croate a adopté début avril un projet de loi que le Parlement devrait voter en mai.
Les victimes de violences sexuelles pendant le conflit toucheront un dédommagement pouvant aller jusqu’à 20 000 euros, selon la gravité du crime. Elles recevront ensuite une indemnité mensuelle d’environ 320 euros, auront droit à la sécurité sociale gratuite et à un accompagnement psychologique.
La proclamation en 1991 par la Croatie de son indépendance de la Yougoslavie avait été suivie d’une guerre entre les forces de Zagreb et les sécessionnistes serbes soutenus par Belgrade. Ce conflit a fait près de 20 000 morts.
Lors de la prise de la ville de Vukovar (est) par les forces serbes, en novembre 1991, Ana Horvatinec avait été détenue, avec des centaines d’autres personnes, dont son mari et sa fille de 21 ans.
Avant d’être transférée vers un camp en Serbie, où elle a été incarcérée pendant un mois, elle a été violée par ses voisins ayant rejoint les troupes serbes. «Il y en avait six. Ils m’ont forcée à regarder ce qu’ils faisaient à ma fille et elle avait été contrainte à regarder ce qu’ils me faisaient», murmure-t-elle.
La société admet enfin leurs souffrances
Abattue, cette femme aux cheveux courts grille une cigarette après l’autre lorsqu’elle raconte son passage par l’enfer, dans sa maison de Petrinja, à 60 km au sud-est de Zagreb où elle vit depuis 1995 avec son mari Djuro, également détenu à l’époque pendant quatre mois. «On ne peut simplement pas oublier», lâche-t-elle.
Le mari d’Ana Horvatinec a été son principal soutien pendant toutes ces années, même si à un moment elle lui disait de partir, en affirmant qu’elle «ne serait plus jamais la même», raconte-t-il.
On estime entre 20 000 et 50 000, le nombre de personnes ayant subi des violences sexuelles, pendant les guerres des années 1990 dans les Balkans, pour la plupart des musulmanes de Bosnie. Ces victimes ont longtemps été oubliées, pas seulement en Croatie. En Bosnie, elles ont commencé à toucher, onze ans après la guerre, une pension de 290 euros. En Serbie, elles ne perçoivent rien, tout comme au Kosovo.
Des experts pensent que cette nouvelle législation à venir en Croatie aura aussi un effet thérapeutique pour ces victimes, parce qu’elles deviennent enfin «visibles». «Ça va les aider à surmonter leur traumatisme parce que la société reconnaît désormais les crimes et leurs souffrances», assure le psychiatre Mladen Loncar.
Également violée à Vukovar par une vingtaine de militaires, Ruzica Barbaric, 63 ans, espère que l’indemnité et la pension lui permettront de «vivre décemment (ses) derniers jours». Juger ses bourreaux reste néanmoins primordial pour elle. «Nos plaies ne seront jamais pansées. Je veux que ceux qui m’ont fait cela soient punis», confie-elle.
Une quinzaine d’anciens militaires a été condamnée à ce jour dans le pays pour des crimes de viol. L’un des bourreaux d’Ana Horvatinec a écopé de quinze ans de prison.
«Jusqu’à maintenant, ces victimes géraient elles-mêmes ce traumatisme. Elles sont enfin maintenant « remarquées » par la société», note Marija Sliskovic, responsable d’une association regroupant des victimes des violences sexuelles pendant le conflit.
Le Quotidien Web (avec AFP)