Injustement réduit au statut de «peintre de la Moselle», Jean-Pierre Beckius (1899-1946) se montre sous une lumière nouvelle à la Villa Vauban, grâce à un important travail d’inventaire réalisé par sa famille.
Comme le raconte Guy Thewes, le directeur de la Villa Vauban, Jean-Pierre Beckius n’est pas un inconnu au Luxembourg, célébré à de nombreuses reprises au pays (dont trois fois rien que pour le MNAHA depuis 1946). Seulement, ce qu’a pu voir le public ne semble être qu’une petite partie de sa production, à en croire le travail d’inventaire lancé en février par sa famille afin de mettre la main sur celle-ci, éparpillée et non répertoriée. Selon une de ses petites-filles, Dunja Weber, l’appel lancé au public a eu l’effet escompté : après de multiples coups de téléphone et mails reçus, l’œuvre répertoriée du natif de Mertert s’est étoffée, passant de 600 toiles et études déjà recensées à 1 000. Et encore, selon les estimations, il en reste le double à dénicher. Le site qui lui est entièrement dédié est d’ailleurs toujours «en cours de création».
Ainsi, aux maigres sept tableaux inscrits aux collections de la Ville de Luxembourg et à ceux appartenant aux proches s’ajoutent désormais d’autres issus de collections privées (certaines d’Allemagne et de Suisse), pour constituer une réunion de presque cent toiles qui, à la Villa Vauban, décrivent essentiellement deux choses : d’abord que «le chemin de vie» emprunté par l’artiste, dixit la commissaire Gabriele D. Grawe, n’a pas été arpenté sans sa famille, et qu’ensuite, il dépasse largement le cadre dans lequel Jean-Pierre Beckius était enfermé jusque-là : celui d’être le «peintre de la Moselle», sa terre de cœur, dépeinte par ses meules de foin façon Claude Monet, ses forêts aux couleurs d’automne, sa rivière tranquille et ses vertes étendues, sans oublier les ruines du moulin «Laerensmillen», pour lequel il voue une véritable obsession.
Portraitiste de talent
C’est donc auprès de ses proches que l’exposition débute, se conclut et se visite même, puisque nombre d’entre eux, petits-enfants et arrière-petits-enfants, étaient de la partie, émus de voir certaines toiles sorties du contexte familial pour mieux s’offrir aux prochaines générations. Avec eux, on découvre un portraitiste de talent qui, sur trois générations, dépeint les siens avec un maximum de réalisme, de vulnérabilité même avec ces corps qui affichent les stigmates du temps qui passe. Ses modèles de prédilection restent Catherine, sa mère, et «Gaby», son épouse, celle que l’on retrouve à différentes périodes de sa carrière (dont le superbe L’Ange Gabrielle). Jean-Pierre Beckius, père de six enfants, apporte le même soin et la même humanité quand il immortalise ses héritiers, dans le berceau ou durant leur prime jeunesse.
La suite se résume à une persistance, celle du style impressionniste dont l’artiste va emprunter la technique (et pas «forcément le sujet», précise le musée), lui l’admirateur de Jean-Baptiste Camille Corot et, plus généralement, de la peinture française du XIXe siècle. C’est d’ailleurs là qu’on le retrouve, plus exactement à Paris où il part étudier en 1919 aux Beaux-Arts. Sous son pinceau, il prend à revers la mode de l’époque, tournée vers les événements mondains et les boulevards animés. Lui préfère les rues vides, le quotidien sans heurt. Avec Jean-Pierre Beckius, les bords de Seine, l’Église Saint-Germain, Notre-Dame, la place du Tertre et Montmartre deviennent des endroits tranquilles, sans le moindre passant à l’horizon. Plus tard, on retrouve cette quiétude dans ses paysages bretons, à travers lesquels il cherche à capter la lumière si particulière de la mer.
Décadence antique
En 1928, il change d’ambiance et file vers l’Italie, d’abord à Rome, puis à Naples, grâce à une bourse accordée par le ministre d’État Joseph Bech. Il y restera deux ans durant lesquels il peaufine ses vues de la ville (toujours inhabitée), sous un soleil certes plus généreux et un ciel moins grisâtre qu’en Moselle ou à Paris. On lui prête alors une fascination pour la décadence des sites antiques. Il aime en effet les ruines et tout ce qui est ancien, qu’il fixe au premier plan sur ses tableaux. Parfois, c’est la végétation, comme ces palmiers géants, qui prend toute la place, symbole à peine caché de la puissance de la nature sur les constructions laissées par l’homme. Un séjour qui va aussi lui donner une plus grande maîtrise dans le cadrage et les perspectives, qui deviennent pour le coup centrales dans ses compositions.
En 1933, il épouse Gabrielle Breyer et le couple s’installe aux Pays-Bas. Les œuvres qu’il produit pendant cette période de deux ans montrent, parfois en petit format, les ruelles étroites et les maisons typiques d’Amsterdam, les dunes, les champs de tulipes et les canaux peuplés de bateaux. L’ambiance y est brumeuse et les couleurs rares. Une fois de retour au pays, et jusqu’à son décès prématuré à 47 ans, Jean-Pierre Beckius va chercher à repousser les limites de son art, comme le démontrent deux œuvres aux accents expressionnistes, réalisées au «Laerensmillen» : Vue vers l’extérieur et Grenier. Une nouvelle preuve que l’artiste ne peut être réduit à une seule facette ni à un style. D’autres œuvres, à l’avenir, seront peut-être même exhumées. On pense notamment à ce tableau envoyé aux États-Unis pour l’Exposition universelle de New York (1939-1940), qui n’est jamais réapparu. Oui, il y a tant encore à découvrir.
«Jean-Pierre Beckius – Impressions d’ici et d’ailleurs»
Jusqu’au 1er juin 2025.Villa Vauban – Luxembourg.