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Les jardins ouvriers berlinois voués à disparaître


L'ambiance est aujourd'hui plus au combat qu'à la fête, les colonies de parcelles étant vouées à être démolies. (photo AFP)

Coincés entre des immeubles ou alignés en rangs d’oignons sur des dizaines d’hectares, les petits jardins ouvriers imprègnent le paysage berlinois mais sont de plus en plus contestés alors que le prix des loyers explose dans la capitale allemande.

Toutes les grandes villes d’Allemagne en recèlent, mais aucune autant que Berlin, bastion allemand du potager urbain, avec ses innombrables lopins flanqués de leur indispensable maisonnette. Près de 71 000 parcelles réparties dans 890 « colonies », certaines le long des voies ferrées ou sous les ponts, occupent ainsi 3% de la superficie de la ville, selon le gouvernement local.

Les trois quarts appartiennent à la municipalité qui les loue, via des associations de quartiers, pour une somme modique. « Il y a deux ans, nous avons célébré notre centenaire », se souvient Suzanne Johnson, 60 ans, en parlant de la colonie « Eschenallee », dans le quartier de Tempelhof, où elle cultive un lopin depuis 10 ans. Elle cueille quelques radis, montre ses plants de tomates et, dans un coin, l’étang où elle s’émerveille chaque année de la naissance de libellules.

Mais l’ambiance est aujourd’hui plus au combat qu’à la fête, la colonie étant vouée à être démolie – comme une quinzaine au total à Berlin à partir de 2020 – pour faire place à une école. Partout, des pancartes s’élèvent : « Contre la démolition ! »

200 000 logements à construire

« Je pense qu’on devrait pouvoir trouver une autre solution », dit Suzanne Johnson, en évoquant les nombreuses friches dans la cité. Car les jardins « sont aussi une part de Berlin ». Les premiers remontent à environ 150 ans. Pendant la révolution industrielle, les ouvriers reçoivent un lopin pour lutter contre la malnutrition.

Le médecin Moritz Schreber, à Leipzig, souligne leur rôle primordial pour les exercices physiques et la santé des enfants. Les « Schrebergärten » ont aidé à l’approvisionnement alimentaire en temps de guerre. Et, après 1945, dans un Berlin presque rasé, leurs petites cabanes ont longtemps servi de logements de dépannage – ce qui est aujourd’hui interdit. A l’ouest, « ils étaient bien sûr extrêmement convoités pendant la séparation de la ville », jusqu’à la chute du Mur de Berlin, se remémore Suzanne Johnson. Les Berlinois de l’ouest, qui vivaient enclavés, n’avaient « alors aucune possibilité de partir à la campagne en périphérie. »

Mais le Mur est tombé depuis trois décennies et dans un Berlin en plein boom économique, qui gagne en moyenne 50 000 habitants par an, se loger pour un prix abordable est devenu une gageure. La ville évalue à 200 000 le besoin en nouveaux logements d’ici 2030 et a décidé de plafonner certains loyers sur cinq ans.

Les « jardiniers », souvent des personnes âgées mais aussi des familles modestes avec enfants, se retrouvent en ligne de mire. D’autant plus qu’ils traînent une réputation de « ploucs » adeptes de barbecues et prêts à chipoter pour la moindre branche qui dépasse. La vie dans les « colonies » est, certes, réglementée par une loi fixant au centimètre près la taille des parcelles, des cabanes, la surface à cultiver – un tiers au moins -, interdisant d’utiliser l’électricité à des fins autres que celles du jardinage, etc.

Ils profitent à tous

Il y a un an, 54% des Berlinois étaient favorables à leur destruction totale ou partielle, selon un sondage. Et même plus de 71% des 18-29 ans. Pouvoir se loger est « un droit », jardiner est « un privilège », argumente l’investisseur immobilier Arne Piepgras, qui exhorte les autorités à « mettre un terme à la folie des petits jardins ». Ce promoteur se dit en croisade car « l’évolution des loyers à Berlin insupportable ». Selon son plan, 400 000 logements sociaux, avec potager au rez-de-chaussée comme dans les années 1920 et 30, pourraient être construits à leur place et « tous les problèmes seraient résolus ».

Proposer de raser tous les jardins revient à dire « qu’ils n’ont aucune valeur », rétorque Jürgen Kropp, professeur à l’Institut de recherche sur le climat de Potsdam. Or c’est plutôt le contraire avec le réchauffement climatique, dit-il. Grâce à la condensation de l’eau des plantes, les jardins contribuent à lutter contre les canicules; ils aident à drainer les eaux de pluies en cas d’orages violents; et protègent la biodiversité – faune et flore – spécifique à la ville. « Donc, bien sûr, nous avons besoin de ces oasis », surtout si « on continue à construire en béton. »

Suzanne Johnson reconnaît payer peu pour sa parcelle, 300 euros par an après avoir racheté le bail 2 000 euros. « Mais nous ne passons pas notre temps dans des chaises longues à bronzer ! », se défend-elle, « notre travail profite à tous ». Des classes d’écoles viennent en visite, les plantes et animaux qui vivent là sont documentés sur des petits panneaux, le long de l’allée centrale de la « colonie ». A l’automne, des sacs de pommes sont déposés à l’entrée, à l’attention des passants.

LQ/AFP