Moins de sang, de cervelle ou de corps démembrés, pour un retour vers une peur plus primale, loin du cinéma gore: le film fantastique, célébré jusqu’à dimanche à Gérardmer, entame un nouveau cycle.
« On a été vers un cinéma gore il y a quelques années, une tendance qui est en train de se résorber », explique Jérôme Lasserre, le programmateur du festival. « Les films sont devenus moins violents, d’un point de vue esthétique en tout cas, et on retourne vers un cinéma fantastique qui fait peur, on retourne à la peur un peu primale, primitive ».
Le monde « est devenu vraiment violent, encore plus qu’avant. Je pense que les cinéastes ont compris ça, et que ce n’est pas la peine de montrer ces horreurs que l’on voit déjà dans la réalité », ajoute ce fan de la première heure du genre fantastique, qui a sélectionné 10 films en compétition cette année, sur plus de 200 visionnés.
Cette chute de l’hémoglobine avait été entamée l’année dernière, quand le festival avait couronné « It Follows », un film sur la jeunesse et la sexualité, loin des zombies, mais terriblement terrifiant. « Mais c’est plus dur. C’est plus dur de faire peur sans montrer », reconnaît Jérôme Lasserre.
Craignant que le genre ne connaisse une période maigre – comme à la fin des années 80, quand le public s’est lassé de voir « encore et toujours les mêmes films » -, il espère, et entrevoit, un renouvellement « de réalisateurs et de public ».
Cette année, plus de la moitié des œuvres en compétition sont des premiers films.
« Plus on voit, moins on a peur »
Pour les frères Doron et Yoav Paz, réalisateurs de « Jeruzalem » (en compétition), qui raconte l’ouverture des portes de l’enfer à Jérusalem pendant Yom Kippour, « plus on voit, moins on a peur. Aujourd’hui, la technologie est tellement avancée qu’elle permet de créer des scènes incroyables. Mais un réalisateur sage saura en faire usage de façon à convaincre le public, mais sans trop en montrer ».
« Aujourd’hui, sur Google, n’importe quel enfant peut voir des images atroces, vous n’avez pas besoin de films d’horreur pour ça. C’est pour ça qu’aujourd’hui, les bons films ce n’est pas juste du gore et du sang », poursuivent les deux frères, qui ont dû ruser pour tourner dans Jérusalem, se cachant parfois, ce qui ajoute « une dose de réalité » à leur film.
Bernard Rose, dont la version de Frankenstein a fait l’ouverture du festival mercredi, abonde. « C’est la fin des films interdits au moins de 13 ans, il est temps de passer à quelque chose de nouveau, de revenir à l’histoire de l’horreur, de déranger le public », explique le réalisateur.
« Nous vivons dans un monde dérangeant, le public va donc avoir besoin de voir des choses plus dérangeantes encore », poursuit le Britannique barbu.
Et d’expliquer qu’il existe trois sortes de peur: le « jump scare », pour faire bondir l’audience de son siège, le plus bas de gamme. Les frissons, « bien plus difficiles. Comme dans la scène de Rosemary’s baby avec le scrabble », et enfin, le summum selon lui, « la peur qui dérange ».
Pour Jérôme Lasserre, ce nouveau Frankenstein s’inscrit directement dans le mythe fantastique. « Mais Frankenstein ça parle aussi de la différence, du regard qu’on peut poser sur l’autre, de l’incompréhension. C’est vraiment actuel, il n’y a qu’à voir le rapport qu’on à l’autre, à l’étranger, ça s’est vachement durci ».
Mercredi soir, sur la scène du festival, Bernard Rose ne s’est pas pour autant privé de renouer avec des traditions plus triviales en promettant « du sang et de la cervelle », suscitant une vague d’applaudissements et de hurlements de loup-garou. La lumière éteinte, quelques minutes après le fameux « It’s Alive » lancé sur un monstre encore beau comme Adonis, la promesse est tenue: le sang coule, et les doigts s’enfoncent dans de la matière cérébrale.
AFP/M.R.