Le drame amoureux Malcolm & Marie, tourné en confinement et avec seulement deux acteurs, arrivera vendredi sur Netflix. De la comédie à l’horreur en passant par la science-fiction, les films tournés depuis mars dernier commencent à se frayer un chemin vers les écrans.
Des images de Londres désertée. Dans la zone résidentielle de Great Portland Street, rue commerçante du West End de la capitale britannique, un hérisson est le seul être vivant à prendre possession du bitume. Ces visions ne sont pas tirées du film de zombies culte 28 Days Later (Danny Boyle, 2002) mais du bien nommé Locked Down, production Warner distribuée sur le service de streaming américain HBO Max, dont l’idée est née en juillet dernier dans l’esprit de Steven Knight, pour un tournage éclair (18 jours) en septembre.
Le film de casse réalisé par le cinéaste américain Doug Liman (The Bourne Identity, Edge of Tomorrow) voit ses deux stars, Anne Hathaway et Chiwetel Ejiofor, planifier en plein confinement le vol d’un diamant à l’intérieur du grand magasin Harrod’s. Un pari risqué pour un réalisateur plutôt habitué aux voltiges et aux courses poursuites qu’à filmer deux personnages entre quatre murs. Pourtant, c’est tout l’enjeu de la première partie du film, qui joue sur le registre du drame avec un couple qui voit sa relation «on-off» se dissoudre à cause du mal-être éprouvé par l’enfermement. Liman, lui, a trouvé sa dose d’adrénaline dans son voyage depuis les États-Unis jusqu’à Londres, qu’il assure avoir fait seul à bord de son propre avion à hélices.
On retrouve dans le film de nombreux clins d’œil à la situation vécue de façon plus ou moins identique à travers le monde depuis un an : les conférences Zoom, la vie au rythme des journaux télévisés qui, jour après jour, communiquent les chiffres des personnes infectées et décédées, les banalités échangées entre voisins depuis chaque côté de la rue, les files d’attente devant le supermarché, les clients qui en ressortent les bras débordants de papier toilette… Devant le manque de masques à la maison, Paxton choisit de sortir en portant son vieux bandana autour de la bouche, ancien signe de rébellion devenu désormais «un conseil du gouvernement», selon sa compagne, Linda. Plus tard, le couple de «bonnes personnes» met la main sur un diamant d’une valeur de trois millions de livres sterling et pense reverser la somme aux hôpitaux, qui peinent à accueillir des malades toujours plus nombreux.
Si le film s’attarde sur la vie quotidienne vécue par ses deux protagonistes confinés, c’est autant pour apprécier sa seconde partie, plus clinquante, qui prend pour décor les «grands extérieurs» de chez Harrod’s, que pour saisir le «zeitgeist» d’une année mise au diapason du Covid-19. «Le monde a changé, déclarait récemment Doug Liman dans une interview. J’étais excité de pouvoir raconter une histoire avec des personnages à qui l’on peut se référer aujourd’hui. Nous ne sommes pas ceux que nous étions il y a un an, aucun d’entre nous.»
Le Covid en horreur
Malgré un respect strict des règles sanitaires sur le plateau et une mise en scène pas encore rentrée dans les habitudes quand il s’agit de filmer les conversations Zoom ou FaceTime, Locked Down reste un film à l’esthétique classique, avec une caméra plus libre de ses mouvements quand elle est à l’intérieur du grand magasin et un casting de stars peu dépaysant. La curiosité, elle, est à chercher du côté de deux productions horrifiques britanniques, Host et In the Earth.
À l’origine du premier, une blague du réalisateur Rob Savage lors d’une réunion Zoom avec quelques amis, où ce dernier a prétendu entendre d’étranges bruits venant de son grenier; armé d’un couteau et d’une perche à selfie, il enquête, pour finalement tomber sur un monstre terrifiant qui l’attaque, devant les cris d’effroi des participants à la conversation. En réalité, Savage avait inséré un extrait du film d’horreur espagnol [Rec] (Jaume Balagueró et Paco Plaza, 2008), mais sa blague l’a mené à développer ce même concept sur la durée d’un moyen métrage, pour s’adapter à la véritable durée d’un appel sur Zoom. Une expérience «surréaliste» selon le réalisateur anglais, qui a entièrement dirigé via Zoom ce film de 56 minutes «sans script et avec beaucoup d’improvisation», mais aussi sans maquillage, coiffure ni éclairage et avec un casting qui comprend certains des amis piégés quelques mois plus tôt. Le résultat fonctionne parfaitement, avec une séance de spiritisme à distance qui fait dresser les poils et quelques discrets effets numériques bien intégrés à l’image granuleuse de la plateforme d’appels vidéo.
Le second film est le projet inattendu porté par Ben Wheatley, peu de temps après la sortie de son erreur de parcours Rebecca, en octobre dernier sur Netflix. Tourné en quinze jours au mois d’août, en pleine forêt anglaise, alors que l’île était sous le coup du confinement strict, In the Earth voit le cinéaste revenir aux œuvres plus confidentielles de ses débuts, les films d’horreur Kill List (2011), Sightseers (2012) et A Field in England (2013), avec les envolées psychédéliques qui vont avec. Surtout, Wheatley a l’habitude d’utiliser l’enfermement dans ses films comme parabole de la société : c’était le cas dans High Rise (2015) et sa tour où l’on vit selon sa classe sociale (les pauvres en bas, les riches en haut), dans sa comédie de gangsters Free Fire (2016), dont il avait lui-même conçu l’unique décor sur le jeu vidéo Minecraft, ou dans sa réunion de famille shakespearienne Happy New Year, Colin Burstead (2018). En allant s’aventurer dehors, Wheatley promet un film «en réponse à la crise du Covid-19» et avec un message qui va chercher toujours plus loin que le bout de son nez.
Le genre horrifique est peut-être celui qui sied le mieux à la situation. En décembre, le réalisateur Adam Mason s’y était doucement essayé avec Songbird, film de science-fiction déjà périmé où l’on imaginait un Los Angeles dévasté par un Covid-19 qui a muté. Mais les choses ont mieux tourné pour Ben Wheatley, qui vient de voir son film projeté à Sundance, et Rob Savage, dont le moyen métrage, diffusé sur la plateforme américaine Shudder, dédiée à l’horreur et au fantastique, était entré en compétition au festival de Gérardmer, qui s’est terminé dimanche. En outre, Host a impressionné le pape de l’horreur à petit budget, le producteur Jason Blum, qui a offert à Rob Savage un contrat pour trois films; le premier projet est déjà en route et compte poursuivre la réflexion d’un monde post-confinement.
Protocoles de sécurité
L’autre genre qui a su stimuler les neurones des scénaristes confinés (pléonasme) est la comédie, dont on raffole particulièrement en Europe. La France a déjà dévoilé, en novembre, le pénible Connectés de Romuald Boulanger, mélange de thriller et de comédie avec, entre autres, Michaël Youn, François-Xavier Demaison, Franck Dubosc et Audrey Fleurot, et l’on voit déjà venir les gags tous publics du prochain long métrage Netflix de Dany Boon, 8 rue de l’Humanité, où les habitants d’un immeuble parisien vont se croiser pendant le confinement. En Italie, la même idée est à la base de Lockdown all’italiana, réalisé par le vétéran Enrico Vanzina, pour un résultat tout sauf digeste…
Alors, il faut aller voir une nouvelle fois du côté de Sundance pour y découvrir How It Ends, comédie indépendante signée Zoe Lister-Jones et Daryl Wein. Un film tourné à travers une ville de Los Angeles vidée de ses habitants, ou presque : l’héroïne, jouée par Lister-Jones elle-même, va de rencontre en rencontre tout au long d’une journée qui débouche sur rien moins que la fin du monde. «Nous avons commencé à concevoir le film deux mois après le début du confinement et nous le faisions avec l’idée d’entrer en production durant la pandémie, donc (il nous fallait) trouver un récit compatible avec les protocoles de sécurité», racontait la coréalisatrice. Ce qui ne l’a pas empêchée de remplir son film d’apparitions célèbres, d’Olivia Wilde à Helen Hunt, une brochette d’acteurs célèbres qui, d’après Daryl Wein, «n’avaient pas grand-chose à faire car il y avait une pandémie dehors». «On les a juste contactés en disant : “Ça vous intéresse de retourner dehors et, peut-être, faire quelque chose ?” et beaucoup d’entre eux ont répondu “Oui, allons-y !”»
La salle de cinéma, c’est bien entendu ce qui fait rêver tous ces cinéastes, eux qui n’ont pas même eu les honneurs d’une projection devant un public de festival, Sundance et Gérardmer ayant pris leurs quartiers en ligne pour cette année. Mais en attendant de pouvoir les découvrir – au mieux – plus tard dans l’année, Netflix prend les devants avec Malcolm & Marie, drame amoureux de Sam Levinson, dans lequel Zendaya, l’éclatante actrice de la série Euphoria, partage l’affiche avec John David Washington. Les deux forment un couple confiné dans une somptueuse villa de Los Angeles, qui oscille entre amour et ressentiment, basé sur la propre expérience de Levinson avec sa compagne. Tourné en noir et blanc et sur pellicule, avec une équipe technique très réduite, Malcolm & Marie arrive dès vendredi sur le géant du streaming, et compte bien faire verser quelques torrents de larmes. Il paraît qu’on se retient moins à la maison…
Valentin Maniglia