Elles sont écartées des décisions importantes, objets de propos paternalistes, dénigrées ou culpabilisées : chaque jour, les femmes sont mises à l’épreuve du sexisme ordinaire qui règne dans le milieu professionnel jusqu’à entamer insidieusement leur confiance en soi.
Ces comportements, « nichés dans notre inconscient collectif », le gouvernement français entend les combattre en annonçant une campagne contre le sexisme. Selon un sondage commandé par le ministère des Droits des femmes au CSA, 40% des femmes interrogées rapportent avoir un jour été victimes soit d’une humiliation, soit d’une injustice liée à leur sexe. Une femme sur deux déclare également avoir changé sa façon de s’habiller pour éviter une remarque sexiste. Forte de ce constat, la ministre des Droits des femmes Laurence Rossignol lancera ce jeudi une campagne « culturelle » contre les stéréotypes avec le soutien d’associations et de personnalités.
Le sexisme ordinaire, Stéphanie en fait l’amère expérience dans une grande entreprise de conseil. « J’étais en apnée, je craignais toujours d’être jugée, je ne me suis jamais sentie à ma place », raconte-t-elle. Pendant cinq ans, la jeune femme alors âgée d’une trentaine d’années encaisse les réflexions machistes, les regards déplacés sur sa tenue qui deviendra de plus en plus austère dans l’espoir d’être davantage prise au sérieux, les reproches sur son travail à coups d’arguments sans rapport avec le registre professionnel.
Les hommes qui menaient les évaluations « étaient très vigilants dans les écrits, mais lors des entretiens, on me reprochait par exemple d’être, en tant que femme, trop friable », se souvient la conseillère en management qui faisait partie des 10% de femmes cadres de l’entreprise. « Les femmes avaient toutes la réputation d’être là pour d’autres raisons que leurs compétences », poursuit-elle, gardant de cette période un sentiment de « vide ». « Je doutais de mes compétences, je n’osais plus m’exprimer spontanément, j’essayais d’adopter des normes qui n’étaient pas les miennes, d’être plus froide afin de me fondre dans le décor. Je n’osais pas répondre et je le regrette », souffle Stéphanie qui attendra de changer de travail pour avoir des enfants.
« T’es énervée, t’as tes règles ? »
La « tolérance au sexisme est sans commune mesure avec d’autres discriminations », résume Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Le sexisme, « dénié y compris dans les mots », provoque « beaucoup de dégâts » chez les femmes en entamant leur confiance en soi. « Jusque dans les années récentes, on parlait de machisme, d’incivilité, d’attitudes inappropriées, de propos graveleux, de dragueurs un peu lourds or c’est du sexisme, mais on ne le disait pas », observe Brigitte Grésy. Sous couvert de « bienveillance », les femmes victimes de stéréotypes (douces, compréhensives, souriantes…) sont « ravalées à des rôles strictement déterminés qui se traduisent par des postes dans les ressources humaines, la communication… tandis que les hommes sont dans les domaines qu’on dit durs : la stratégie, la finance… », analyse-t-elle.
Si la France est l’un des pays où les femmes qui ont des enfants travaillent le plus, « elles sont toujours vues comme plus légitimes dans la sphère familiale que professionnelle », acquiesce Isabella Lenarduzzi, entrepreneure sociale et fondatrice de JUMP, organisation pour l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Elle aussi a connu son lot d’humiliations. Furieuse contre un directeur de Chambre de commerce avec lequel elle est en désaccord sur un dossier, celui-ci lui répondra : « T’es énervée t’as tes règles ? »
Jugées « coupables » dès qu’il y a un problème avec les enfants, les femmes sont très souvent celles qui s’arrêtent en cas de maladie ou difficultés scolaires. Une culpabilisation qui les conduit à être « leurs propres geôlières » et à ne pas choisir le poste dont elles ont vraiment envie, pointe Isabella Lenarduzzi.