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Les dégâts sur la biodiversité de l’orpaillage clandestin


Troncs d'arbres abattus, souches, branches et sciures attestent de la dévastation. (illustration AFP)

Sur une surface d’environ deux terrains de foot, la forêt est éventrée, la canopée clairsemée. A 60 km à l’est de Cayenne, l’impact de l’orpaillage clandestin témoigne des dégâts irréversibles causés sur la biodiversité.

« L’orpaillage crée des trous dans la forêt, l’essentiel du renseignement sur les sites clandestins se fait par voie aérienne », explique le lieutenant-colonel Laurent Vuillerez, du centre de commandement de l’opération Harpie qui lutte depuis 2008 contre l’orpaillage illégal sur ce territoire français d’Amérique du Sud.

Non loin du village hmong de Cacao, dans cette zone très fréquentée par les Cayennais, le site d’orpaillage clandestin a été démantelé il y a un mois, par les Forces armées de Guyane.

Jusqu’à 500 chercheurs d’or

Sur la montagne Chawari, difficilement accessible en cette période de saison des pluies où les layons se transforment en ruisseaux de boue, 40 puits d’orpaillage, pouvant atteindre 15 à 20 m de profondeurs, ont été découverts. Ici, entre 300 et 500 orpailleurs, tous brésiliens, se sont relayés pendant plusieurs mois, au fond des galeries souterraines, pour arracher à la terre le minerai précieux.

Tout autour, troncs d’arbres abattus, souches, branches et sciures attestent de la dévastation. Le long des sentiers, plusieurs petites scieries improvisées sont encore visibles. C’est là que des bucherons et menuisiers abattaient et débitaient les arbres, pour fabriquer des étais nécessaires au maintien des puits et des galeries, mais aussi les « chèvres », ces poulies qui servent à remonter du fond du puits l’or primaire contenu dans la roche, explique le lieutenant-colonel Laurent Vuillerez.

Plus loin, les arbres ont servi à construire les carbets, cet habitat traditionnel amérindien où les orpailleurs pouvaient dormir dans des hamacs et manger. L’un de ces carbets servait même d’atelier de bijouterie, pour que les orpailleurs puissent repartir directement avec des bijoux, moins susceptibles, paradoxalement, d’attirer l’attention des militaires que les pépites d’or.

Au total, depuis 2003, le cumul de forêts détruite à cause de l’orpaillage, légal ou illégal, s’élève à 29 000 hectares, explique Jean-Luc Sibille, de l’Office national des forêt (ONF).

« Rien qu’en 2018, c’est 1 115 hectares qui ont été ravagés, dont 60% liées à l’orpaillage clandestin », explique-t-il en contemplant le paysage balayé. « Une fois qu’il n’y a plus d’arbres, il n’y a plus rien pour retenir la terre, la pluie et l’érosion entraine tout, on ne pourra jamais revégétaliser », souligne-t-il.

Milieu aquatique asphyxié

Avec 96% du territoire guyanais couvert de forêts, « on a l’impression que la nature est tellement prégnante que ce n’est pas grave, mais ça va pourtant très vite, regardez le Brésil », s’insurge Marie Fleury, membre du collectif Montagne d’or. Dans ces « forêts anciennes », « très précieuses en terme d’écologie », « on détruit des espèces végétales ou animales, inféodées à ces milieux », note l’ethnobiologiste.

Autre caractéristique visible de l’activité aurifère illégale, la pollution des cours d’eau par relargage de matières en suspension (boues). Une pratique notamment liée à l’exploitation alluvionnaire lorsque les orpailleurs utilisent de grosses lances pour diluer les alluvions (dépôts de sédiments) à la recherche de paillettes d’or. Les cours d’eau voient alors leur turbidité augmenter, entraînant peu à peu l’asphyxie du milieu aquatique, explique Thomas Saunier, président de la compagnie des guides de Guyane.

Les loutres géantes, une espèce spécifique à la Guyane, sont des « bio indicateurs », souligne-t-il. Ces animaux, qui peuvent peser jusqu’à 40 kg, sont friands de poissons, coquillages et crabes, et très sensibles à la qualité des cours d’eau.

« Si les poissons fuient les eaux, elles fuient à leur tour », explique Thomas Saunier. La faune en général se raréfie près des sites des orpailleurs qui chassent le maïpuri (tapir), le cochon bwa (petit sanglier sauvage) ou les grands primates, déplore-t-il. De même, la turbidité de l’eau a des conséquences sur la « salade koumarou », une plante aquatique que l’on retrouve dans les fleuves au niveau des sauts (rapides), et qui meurt quand l’eau est trop chargée de matière en suspension.

Depuis 2003, 3 300 kilomètres de cours d’eau ont été impactés.

LQ/AFP