Pour son sixième film, Les Chevaliers blancs, le Belge Joachim Lafosse s’est inspiré de l’affaire de l’Arche de Zoé. Avec un excellent Vincent Lindon.
À 40 ans, Joachim Lafosse, réalisateur belge, présente son sixième film, Les Chevaliers blancs . Peu avant la sortie en salles, il a précisé : « Le thème de l’enfer pavé de bonnes intentions me passionne. » Et cette fois encore, après À perdre la raison (l’histoire d’une mère qui a tué ses enfants – coproduit par Samsa Film), il s’est appuyé sur un fait divers qui, en 2007, avait marqué l’opinion publique au-delà des frontières françaises. Ce qu’on avait appelé «l’affaire de l’Arche de Zoé» avait alors mis à mal les relations diplomatiques entre la France et le Tchad.
Parce qu’une organisation humanitaire française avait essayé d’exfiltrer une centaine de petits Tchadiens prétendus orphelins avec l’idée de les faire adopter dans l’Hexagone – à ce jour, les deux responsables de l’Arche de Zoé risquent une peine de trois ans d’emprisonnement, dont deux ferme.
« Dans ce film, des « humanitaires » s’arrogent le droit de sauver des enfants , dit le réalisateur. Les personnages principaux érigent en loi l’idée qu’ils se font du bien et l’appliquent aux autres sans se soucier des conséquences que cela déclenche… »
«Le reflet de mes obsessions»
Une autre précision de Joachim Lafosse : Les Chevaliers blancs est un film de fiction, qu’on se le dise. « À aucun moment, je n’ai voulu retranscrire de manière objective ce fait divers. (…) Les personnages que je mets en scène ne sont pas les protagonistes de l’affaire de l’Arche de Zoé. Mes films sont d’abord le reflet de mes obsessions. » Ainsi, le réalisateur a imaginé un certain Jacques Arnault, président de l’ONG «Move for kids». Ce personnage, terriblement charismatique, a convaincu des familles françaises qui souhaitent adopter un enfant, de financer une opération d’exfiltration d’orphelins d’un pays d’Afrique dévasté par la guerre.
Pour le président de l’ONG, avec son équipe de bénévoles tous dévoués à sa cause, c’est très simple : «Move for kids» dispose d’un mois pour trouver 300 jeunes enfants et les ramener en France. Mais ça ne peut fonctionner que s’il parvient à persuader ses interlocuteurs africains et les chefs de village. Évidemment, à aucun moment, il n’évoque les vraies raisons de son expédition, partant du grand principe qu’une promesse n’engage que celui qui la croit…
Pour incarner le personnage de Jacques Arnault, le réalisateur a convié le récipiendaire du prix d’interprétation masculine du festival de Cannes 2015, Vincent Lindon. Et ce fut une belle et bonne idée – parce qu’il propose un chef qui ne peut pas perdre par rapport aux membres de l’organisation, qui doute de son action et de ses convictions. Une fois encore, après les migrants ( Welcome de Philippe Lioret, 2009), le surendettement ( Toutes nos envies de Philippe Lioret, 2011) et le chômage ( La Loi du marché, de Stéphane Brizé, 2015), Vincent Lindon se penche sur l’ingérence humanitaire – il y est impeccable dans un rôle tout en zones d’ombre.
Le film achevé, Lafosse s’est laissé aller au compliment pour son acteur : « Jacques Arnault est un magnifique personnage, car il contient toutes les contradictions de l’occidental généreux, mais allant jusqu’à abuser de sa « bonne foi » pour sauver le monde, son monde. Vincent Lindon lui confère un charisme fascinant .»
Serge Bressan
Les Chevaliers blancs, de Joachim Lafosse (France/Belgique, 1h52) avec Vincent Lindon, Louise Bourgoin, Valérie Donzelli…