Tartare de daurade et crumble d’agneau évoquent un restaurant gastronomique. Mais aux Beaux Mets, le client déguste des plats préparés par des détenus, sous l’œil d’un surveillant, entre les murs de la prison de Marseille.
Séparé du monde extérieur par deux portes infranchissables, un étage au-dessus des cellules, dans la célèbre prison des Baumettes, à Marseille, le restaurant Les Beaux Mets dévoile une décoration intimiste, aux banquettes de velours. La petite salle d’une quarantaine de couverts a ouvert ses portes au public mardi, mais les détenus y ont déjà servi, durant un certain temps, des repas «tests».
L’un d’eux, préposé aux cocktails ce jour-là, affiche un grand sourire : «Quand je suis au restaurant, j’oublie la détention, je suis dehors dans ma tête, et le soir je me couche fatigué mais heureux, avec l’envie d’être déjà au lendemain.»
Quand je suis au restaurant, j’oublie la détention, je suis dehors dans ma tête
Comme douze autres détenus de la structure d’accompagnement vers la sortie (SAS), réservée aux personnes définitivement condamnées et en fin de peine, il a intégré Les Beaux Mets dans le cadre d’un chantier d’insertion professionnelle porté par l’administration pénitentiaire et l’association Festin.
«La sortie est très attendue mais plus difficile que ce qu’on imagine», explique Christine Charbonnier, secrétaire générale de la direction interrégionale des services pénitentiaires. «L’idée de la SAS, c’est que le détenu se prépare à la vie dehors.»
C’est en visitant la prison de Bollate, à Milan, et son restaurant tenu par des détenus, que l’administration pénitentiaire a imaginé Les Beaux Mets, comparable aussi au restaurant The Clink, de la prison londonienne de Brixton. «La cuisine nécessite de l’organisation, de la rigueur, des choses importantes pour remobiliser des personnes éloignées de l’emploi», assure Armand Hurault, directeur de l’association Festin.
Chacun à sa tâche
Malgré leur inexpérience – la plupart n’avaient jamais cuisiné –, les détenus préparent des plats «bistronomiques», une offre garantie par ceux qui les encadrent : un maître d’hôtel et la cheffe Sandrine Sollier, passée notamment par le triple étoilé Le Petit Nice, à Marseille.
À la carte, et au prix de 35 euros pour un menu entrée-plat-dessert : monochrome végétal, crumble d’agneau, pomme renversante. «La fierté de faire quelque chose d’excellent, c’est un moteur extrêmement important», selon Armand Hurault.
Dans la cuisine flambant neuve, pas un mot plus haut que l’autre, chacun est à sa tâche : cuisson des sauces, plonge, dressage. «La discipline peut s’acquérir sans force, ils sont assez brimés comme ça au quotidien», explique Sandrine Sollier, selon qui les détenus sont «deux fois plus volontaires» que des commis bien plus expérimentés. Seule contrainte spécifique à la détention, reconnaît-elle : les deux armoires à couteaux, fermées à clés. «Chaque matin et chaque soir, je les recompte.»
Sur l’inox immaculé du plan de travail, Jeffrey Sandiford, 31 ans, coupe minutieusement en tranches une patate douce cuite. Il est l’un des seuls à revenir à son métier d’origine, appris à l’armée : «Je ne voulais pas perdre l’habitude du travail.» Il apprécie que Sandrine Sollier ne le voit pas «comme un détenu mais comme un membre de l’équipe» : ce restaurant «va prouver que certains détenus peuvent s’en sortir». Le projet vise aussi à changer le regard sur la détention, «souvent assez caricatural, prison 4 étoiles pour les uns et honte de la République pour les autres», déplore Christine Charbonnier, qui souhaite réconcilier «le dedans et le dehors».
Expérience «contraignante» mais «unique»
Les Beaux Mets sont ouverts du lundi au vendredi, le midi seulement. L’inscription sur le site internet du restaurant est obligatoire 72 heures avant, le temps pour l’administration pénitentiaire de vérifier l’identité et le casier judiciaire de chaque client.
À son arrivée, chacun devra passer par un portique de sécurité et laisser dans un casier son téléphone portable, ses clés, ses espèces, le temps d’un repas sans alcool, dégusté sous l’œil discret d’un surveillant de prison… «Des conditions contraignantes, oui, mais pour une expérience unique», reconnaît Armand Hurault.
Côté personnel, le bilan est déjà très positif : Kamel (NDLR : le nom a été changé), 21 ans, passe d’une table à l’autre avec aisance. «J’en ai fait des jobs dans ma vie, mais j’ai jamais vraiment apprécié; là, il y a un plaisir», décrit timidement le jeune homme. Très à l’aise dans son rôle de serveur, il l’assure pourtant : «Ce n’est pas cet uniforme qui me fait oublier qu’à 17 h, je vais rentrer en cellule.» Mais Les Beaux Mets lui donnent de l’espoir pour l’avenir : «Sortir pour refaire des conneries, non. Pour envisager d’être serveur, oui…»