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Lee Miller au cœur de l’enfer


(photo Sky UK)

Un biopic retrace le destin hors norme de l’Américaine, en se concentrant sur son parcours de photojournaliste à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Avec Kate Winslet en femme libre et témoin majeure des atrocités nazies.

Une pionnière qui préférait «prendre des clichés plutôt que d’en être un» : dans le film Lee, l’actrice Kate Winslet prête ses traits à l’Américaine Lee Miller, qui brisa les conventions pour s’imposer comme une grande photojournaliste du XXe siècle, témoin majeure des atrocités nazies. En salles demain, le long métrage explore une période charnière de la vie de cette femme puissante (1907-1977), ex-mannequin qui photographia les camps de concentration et dont le cliché la montrant nue dans la baignoire d’Hitler, à Berlin, est entré dans la légende.

Lee Miller «a vécu plusieurs vies et notre plus gros défi était de savoir quelle période décisive de son parcours mettre en avant», explique, dans le dossier de presse, Kate Winslet, soucieuse d’«éviter le piège du biopic» pour une figure aussi complexe. Premier long métrage de l’expérimentée cheffe opératrice Ellen Kuras (Eternal Sunshine of A Spotless Mind), Lee se déploie d’abord dans l’insouciance bourgeoise et bohème de la Riviera française en 1938.

Au milieu des cadavres

Autour de Lee Miller, ancienne compagne de Man Ray devenue photographe de mode, l’amour est libre, l’alcool abondant et personne ne daigne voir que l’Europe est au bord du précipice. Sa petite troupe compte le poète Paul Éluard, son épouse Nusch (Noémie Merlant) et la rédactrice de mode Solange d’Aye (Marion Cotillard). Lee Miller rencontre alors le collectionneur d’art Roland Penrose (Alexander Skarsgår), s’installe à Londres avec lui et se démène pour partir en France en 1944 et rendre compte, appareil Rolleiflex en bandoulière, de l’horreur de la guerre.

Les obstacles pour une femme sont légion et Lee Miller, qui travaille pour l’édition britannique de Vogue, doit braver les interdits. «Elle était en colère parce que les femmes n’étaient pas officiellement autorisées dans les zones de combat», se rappelait fin mai, son fils unique, Antony Penrose. Avec son confrère et ami du magazine Life David Scherman (campé à contre-emploi par l’humoriste américain David Samberg), Lee Miller frôle la mort, photographie les mutilés de guerre, les premières épurations en France et parvient jusqu’au front Est, dans une Allemagne tout juste vaincue.

La reporter y photographie des familles de nazis suicidés et, surtout, pénètre dans les camps de concentration de Dachau et Buchenwald, où elle découvre des convois remplis de cadavres et les survivants décharnés. «Au lieu de prendre des photos de loin, Lee Miller n’a pas hésité à grimper à bord du train rempli de cadavres», souligne Kate Winslet. Ainsi, la caméra d’Ellen Kuras ne s’arrête pas à la porte des camps. Le film montre en effet des déportés en uniforme rayé et reconstitue l’intérieur des camps nazis, un choix frontal et risqué qui tranche par exemple avec l’approche plus oblique du récent The Zone of Interest, Grand Prix du jury à Cannes en 2023.

«Les gens n’y croyaient pas»

À son retour à Londres, Lee Miller, marquée dans sa chair, veut montrer ces atrocités au monde mais se heurte au refus du Vogue britannique. C’est l’édition américaine du magazine qui publiera finalement son photoreportage sous le titre Believe it («Croyez-le»). «Les gens n’y croyaient pas. C’est fou comme on a dissimulé pendant très longtemps des pans entiers de la Shoah. Il y avait une véritable volonté de maquiller les faits, mais elle s’y est refusée catégoriquement. Cela l’a ruinée totalement», souligne Kate Winslet.

Pour camper cette femme libre, torturée et opiniâtre, l’actrice britannique de 48 ans ne recule devant rien : elle se dénude sans dissimuler ses rondeurs et assume cernes et rides pour rendre compte de l’épuisement physique et psychique de son double de cinéma. La star de Titanic, The Reader ou Revolutionary Road va même jusqu’à se grimer pour interpréter une Lee Miller vieillissante, accro à la boisson et aux médicaments, qui déroule, de mauvaise grâce, le fil de son existence devant un intrigant journaliste. «Elle était guidée par la compassion et je pense que ça l’a consumée», dit son fils. «Il n’y avait plus rien pour la faire avancer et elle n’arrivait pas à sortir de sa tête toutes les choses qu’elle avait vues.»

Lee Miller, d’Ellen Kuras.
Ce mercredi sur les écrans.

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