Australienne vivant à Londres, 48 ans, Nikki Gemmell signe un nouveau roman aussi détonnant que décapant : « Avec mon corps ». Rien moins que le livre qui met à nu l’intimité des femmes…
Nikki Gemmell raconte le comment et le pourquoi du désir sexuel féminin. (Photos : DR)
Dans une époque où l’on crie au génie et à la libération des mœurs à la seule lecture de Cinquante nuances de Grey, où le très soft « mommy porn » devient le chic ultime, qu’il est bon de recevoir une piqûre de rappel administrée par Nikki Gemmell !
À 48 ans, l’Australienne installée à Londres avec mari et leurs trois enfants s’était fait remarquer en 2006 avec La Mariée mise à nu, un roman qu’elle avait d’abord publié anonymement avant d’en revendiquer la maternité. À l’époque, le livre avait fait débat. Tout comme va faire débat son nouveau roman, Avec mon corps. C’est aussi détonnant que décapant.
Attention, Nikki Gemmell n’est pas une féministe extrémiste, et encore moins une virago. Enfant puis adolescente, elle se voyait déjà romancière. Récemment, elle s’interrogeait : « Suis-je aujourd’hui un écrivain différent par rapport à ce que j’étais voilà dix ans ? » et expliquait : « Une certitude, je suis une femme différente. J’ai trouvé le courage pour avancer. J’ai trouvé ma voix. Et ça a nourri mon roman Avec mon corps. Une nouvelle fois, il raconte la vérité… »
> L’amour de soi et des autres
Rapidement, certains n’ont voulu voir et lire dans ce nouveau roman de l’Australienne qu’un texte gentiment érotique, n’ont relevé que quelques détails sur l’anatomie masculine et féminine (par exemple, le double de terminaisons nerveuses chez la femme par rapport à l’homme) et comparé l’héroïne à une Madame Bovary du Gloucestershire.
Pourtant, on a là un texte formidablement littéraire, avec des airs de parenté avec Colette, Anaïs Nin ou Marguerite Duras. Un texte dont chacun des 225 chapitres commence par une leçon (quelques mots, quelques lignes) et qui évoque l’héroïne par « vous » – ce qui assure une distance avec le sujet, une distanciation avec les événements, on est dans le récit et en dehors…
Dans le roman de Nikki Gemmell, « Vous » est une femme à la quarantaine naissante, mariée, mère de trois enfants. Elle s’est installée au bureau, une machine à écrire avec un ruban d’encre neuf. À ses côtés, un vieux livre de l’époque victorienne : A Woman Thoughts about Women – il va lui servir à rythmer les chapitres du livre qu’elle va écrire.
Ce livre où elle commence par raconter sa vie de femme mariée et de mère de famille, où elle va se remémorer ce temps de l’adolescence et des premières années de l’âge de femme quand elle a découvert son corps, la sexualité. Aujourd’hui, mère au foyer, elle ne peut que constater sa vie de couple à l’encéphalogramme quasi plat. Le plaisir n’aurait-il pas, plus place dans le mariage, après quelques années de vie commune ?
Extrait : « Vous pensiez ne plus jamais vouloir coucher avec quelqu’un, que ce genre de vie était derrière vous. Vous aviez eu vos enfants. Le sexe avait rempli son rôle. Vous aviez l’impression d’être cassée, qu’il était trop difficile de vous réparer. Les adultes ne se réparent pas. Leur état empire. La vie les consume peu à peu et ils en portent les cicatrices tout le long de leur vie. En fait, elles durcissent, se calcifient. Mais vous vous sentez libérée. Par miracle. »
Et « vous », cette femme dont la vie est emplie de fausses amitiés, de routine et d’ennui avec un mari présent et en même temps absent, se laisse prendre par les souvenirs. L’enfance, l’adolescence, le quotidien dans le bush australien, les rapports compliqués avec son père, la sexualité qui se pointe… et puis le souvenir de Tol. L’initiateur aux choses de la vie.
Dans ce roman qui peut faire penser à L’Amant de Lady Chatterley de D. H. Lawrence ou L’Amant de Marguerite Duras, Nikki Gemmell raconte la condition féminine, l’amour maternel et aussi une histoire familiale. Roman initiatique, Avec mon corps est aussi un texte sur l’apprentissage de l’amour de soi et des autres. Sur la connaissance du corps. De son corps.
De notre correspondant à Paris Serge Bressan