L’actrice est étouffée par la violence sociale dans Le Journal d’une femme de chambre.
Dans Le Journal d’une femme de chambre, avec Léa Seydoux, Benoît Jacquot adapte le roman éponyme d’Octave Mirbeau paru en 1900, dont il veut montrer « la résonance moderne ». Pour lui, la violence des rapports sociaux est aujourd’hui « tout aussi virulente ». Le film, en salles depuis hier après avoir été montré en compétition officielle à la Berlinale, raconte l’histoire de Célestine, domestique au tournant du XXe siècle.
Nouvellement arrivée en province au service d’un couple, les Lanlaire, elle doit faire face à la dureté de sa patronne et aux avances du mari. Elle va être aussi peu à peu fascinée par le jardinier, interprété par Vincent Lindon. Le cinéaste a choisi de braquer cette fois sa caméra sur Léa Seydoux dans la peau d’une fille refusant la soumission et cherchant à acquérir son indépendance, rôle pour lequel Marion Cotillard avait été un temps pressentie.
Les personnages féminins, « j’y suis ramené assez régulièrement. Il faut croire que ça me concerne », a souligné Benoît Jacquot. « Comme je ne suis pas une femme, les femmes nécessairement m’intéressent plus que les hommes. » Après Les Adieux à la reine, dans lequel Léa Seydoux interprétait la lectrice de Marie-Antoinette, Benoît Jacquot a choisi de « confier ce film » à l’actrice de 29 ans, Palme d’or à Cannes en 2013 pour La Vie d’Adèle et qui sera la nouvelle James Bond girl dans Spectre.
Il s’attaque cette fois à une œuvre déjà portée à l’écran par Jean Renoir et Luis Buñuel, mais dans des styles différents, théâtral et burlesque chez Renoir, psychanalytique et ambigu chez Buñuel. « Comme ces deux films sont aussi différents que possible l’un de l’autre, j’ai dit logiquement qu’un troisième serait tout aussi différent, et du coup qu’il n’y avait pas moins de raisons de le faire », explique le réalisateur de Trois Cœurs.
« Ressentir physiquement »
Le visage souvent fermé, tout en énergie butée, Léa Seydoux incarne avec force l’héroïne au caractère bien trempé, insolente mais parfois vulnérable, succédant dans ce rôle à Jeanne Moreau dans le film de Luis Buñuel. Comme dans La Fille seule, dans lequel Virginie Ledoyen allait de couloir en escalier, Benoît Jacquot la suit ici au plus près sans la quitter d’un pouce, dans un film ponctué de flash-back.
Montant et descendant les escaliers de la maison, se pressant dans les couloirs pour tenter de satisfaire une patronne toujours mécontente, Célestine apparaît acculée, confrontée à la cruauté sociale et la brutalité masculine, subissant les humiliations sans parvenir à échapper à sa condition. « Je voulais que l’on essaie de ressentir le plus physiquement possible son trajet mental, son épreuve constante », souligne Benoît Jacquot.
Pour mieux souligner la dureté de la situation, le réalisateur a choisi aussi de soigner certains plans d’intérieur notamment. « Souvent dans mes films, et celui-là peut-être particulièrement, plus c’est horrible, plus c’est violent, et plus il faut que ce soit beau à regarder », dit-il. À travers cette histoire, le réalisateur de 68 ans dit aussi avoir voulu parler de questions très actuelles, comme la discrimination sociale et l’esclavage salarié.
« Ce qui m’intéressait immédiatement, à travers l’itinéraire d’une jeune femme de chambre – et à cette époque-là, c’était vraiment une sorte d’esclavagisme – c’était de faire surgir des échos contemporains », explique Benoît Jacquot, pointant une « violence radicale qui tient à la condition féminine, à la condition salariée, au climat général » aujourd’hui.
« Il y a quand même en France quelque chose depuis maintenant quelques années, et peut-être quelques dizaines d’années, de très resserré, étouffé, soi-disant paisible et repu, et qui pourtant gronde constamment d’après moi », dit-il. La violence dans les rapports sociaux, « même masquée par des couches de temps et d’événements, est tout aussi virulente » aujourd’hui, juge-t-il. « C’est ce qui donne sa résonance moderne au film. »
AFP
Le Journal d’une femme de chambre, de Benoît Jacquot. Actuellement à l’Utopia (Luxembourg).