A l’occasion de la foire aux Disques organisée dimanche aux Rotondes, Le Quotidien s’est penché sur le phénomène du vinyle et sa croissance frénétique, en interrogeant ceux qui les vendent… et ceux qui les achètent.
Il y a d’abord Richard, la soixantaine, cheveux longs et gras et veste en jean, qui affirme avoir toujours écouté du vinyle, bien que son «équipement commence à faiblir». Il y a aussi Michael, collectionneur «irrépressible» dont la bourse fond au même moment que son sac, en bandoulière, se remplit. Il y a également Audrey, qui flâne, sans dépenser, consciente qu’elle va bientôt devoir investir, pour son «coin musique», dans une nouvelle platine, celle héritée de son grand-père étant un brin «fatiguée». Il y a enfin d’autres plus aguerris, comme DJ Senzu qui, devant les bacs, se dit être dans la peau d’un «chasseur». Dans l’après-midi, il sera fier d’exhiber les fruits de sa battue à sa compagne.
Une foire aux Disques comme celle des Rotondes, que l’établissement de Bonnevoie pratique à un rythme semestriel, c’est un peu ça : un mélange d’adeptes hétéroclites qui ne se réduit plus au cercle d’initiés. On y vient tôt (ou pas) pour dénicher la perle rare qui va coûter un bras mais aussi pour garnir sa discothèque, faire des découvertes, ou simplement partager une passion musicale, communier, échanger des anecdotes… «Ça draine large !», lâche Marc Hauser, maître des lieux et instigateur de cette première manifestation «généraliste» du genre au pays qui, depuis, a fait des petits : la Rockhal organise aussi ses foires dont, précisons-le, l’entrée est, elle, payante.
Si ici, les CD comme les DVD –on parle même de Blu-ray, chose étonnante car même à son apogée, cela ne se vendait déjà pas !– sont en bonne place, aux côtés d’autres objets de la panoplie (les fameux patches pour vêtements à trous), c’est bien le vinyle qui s’étend de tout son large, à travers la sélection d’une cinquantaine de disquaires invités, venus principalement de France, de Belgique et d’Allemagne.
«D’année en année, ici, ils prennent de plus en plus de place», reconnaît-il. Avec une part de marché qui augmente, des disquaires qui ouvrent boutique, des usines de fabrication qui se développent, la galette noire confirme régulièrement son regain de vitalité… Du coup, «ça draine large, du jeune qui vient de s’y mettre au vieux qui n’a jamais lâché l’objet», dit encore Marc Hauser, tout heureux du mélange des genres.
«Trouver des disques et des beaux mecs»
«On y trouve de tout : du fanatique à la recherche de la pépite à celui qui cherche un disque de France Gall…» On retrouve du coup notre chasseur qui, dans sa manie de «provoquer la chance», dégaine, heureux, un exemplaire de Souvenir d’Orchestral Manoeuvres in the Dark. Dans l’autre main, son téléphone qu’il consulte «pour voir les prix qui se font ailleurs». La copine d’Audrey, Céline, se contentera, elle, de deux compilations «punk-rock», jetant un dernier coup d’œil à l’assistance, essentiellement masculine. «On vient trouver des disques et regarder les beaux mecs», rigolent-elles, étonnées toutefois de cet ancrage «viril». «Vous avez plus de temps que nous, apparemment !», ose même Audrey. Voilà en effet un combat que #MeToo a négligé…
Au delà du sexe, l’aspect générationnel interroge aussi. Le vinyle séduit en effet, et paradoxalement, la génération ayant grandi à l’ère d’internet et du téléchargement illégal : de récentes statistiques estiment qu’entre 70 et 80% des acheteurs ont entre 18 et 35 ans. Toujours Audrey : «On sent un vrai retour à l’objet physique. Fouiller pour une robe ou pour un disque, c’est la même chose : c’est le geste qui compte ! Cela implique aussi de prendre le temps, et remet en question une forme de consommation aveugle.»
Elle précise, toutefois : «Attention, cela ne veut pas dire que l’on n’est pas sur YouTube ou Spotify. Ça se combine. On écoute d’abord pour se faire une idée, ensuite on achète un vinyle. Bon, parfois, ça pique un peu.» Beaucoup, en effet, tiquent sur les prix, qui prennent parfois des dimensions déraisonnables. «Il faut payer pour la musique!», martèle encore DJ Senzu qui, lui, prêche pour la patience. «Une foire, il faut y rester deux, trois heures, s’y perdre, et à un moment, boum, on tombe sur un album top et à peu de frais.»
De l’autre côté de la barrière, Christophe, âgé de 46 ans, qui se définit comme un «consommateur revendeur», n’abuse jamais. Sur son stand, des DVD –«un mec vient de m’en prendre une dizaine d’un coup !»– des livres et des galettes, à lui et à deux autres potes qu’il «aide». Un peu comme la star du rangement à la japonaise Marie Kondo, il prône la non-accumulation… «Je me suis limité à une pièce chez moi, et il ne faut pas que ça déborde. Mais mes meubles sont pleins. Si j’en rentre, il faut alors que j’en sorte !» Résultat ? «Je me retrouve aujourd’hui derrière un stand de six mètres de long (il rit).» Il va falloir repenser sérieusement la méthode.
Daedelus, musicien philosophe
En tout cas, de l’avis général, ces vendeurs, outre le fait de retrouver leurs homologues-amis et certains clients, se considèrent, à travers leur fonction et ce genre de rendez-vous, d’utilité publique. Ce n’est pas Marc Hauser qui dira le contraire : «Une foire et ses représentants participent à l’émancipation musicale d’une ville. Les magasins de disques sont importants. Ils servent de guide aux gens qui se tournent vers eux.»
Et au Luxembourg, plus que chez les voisins, l’approche est d’autant plus logique, vu la faiblesse (et c’est peu dire) de l’offre. «Daedelus, musicien du label Ninja Tune, a un jour dit : ‘Les disquaires révèlent la culture musicale d’un lieu.’ Quatre foires aux disques par an, ici, ça fait sens !» Alors qu’il revient du festival Eurosonic, à Groningen (Pays-Bas), «une ville de 200 000 habitants avec quatre disquaires à l’offre conséquente», il aimerait que son pays «gâte» plus ses passionnés, les mêmes que l’on retrouve aux Rotondes, au Gudde Wëllen et ailleurs…
«Le fait qu’il n’y ait pas de disquaire digne de ce nom, ça m’emmerde !, conclut-il. Quand on aime la musique, on aime se rendre dans un magasin de disques, connaître le gars derrière le comptoir, discuter, écouter du son, boire un café… Bref, deux heures à prendre du plaisir.» En attendant que son souhait s’exauce, la foire reste un bon palliatif. Pour preuve, Jérôme et son gamin, Arthur, 2ans : «Avec lui, on est fixé sur les pochettes avec des animaux dessus.» Dans ses petites mains, l’album Atom Heart Mother de Pink Floyd, et surtout, sur ses lèvres, un sourire qui en dit long.
Grégory Cimatti
Au Québec, l’engouement est le même. Beaucoup de disquaires, page Facebook et événements de passionnés. Des podcasts tel que Le Retour Du Vinyle, y participe également.
https://dgitproductions.com/le-retour-du-vinyle/