La pandémie de Covid a lâché des flopées de néo-cyclistes dans les rues des villes françaises mais le vélo reste très majoritairement pratiqué par les hommes. Obstacles culturels et sociétaux, aménagements urbains inadaptés, insécurité : les freins pour atteindre la parité sont encore puissants.
En 2018, le géographe Yves Raibaud réalisait une vaste étude sur Bordeaux et sa métropole. Verdict : seuls 38% des cyclistes étaient des femmes. La nuit et par temps de pluie, leur proportion dégringolait à 22%.
Parmi les désagréments cités par ces cyclistes : le fait d’être chargée (courses, enfants), la peur de l’accident ou d’un problème technique, le sentiment d’insécurité face au harcèlement et aux agressions sexuelles (équivalent à celui ressenti à pied), la tenue parfois exigée au travail (jupes, talons, tailleurs).
« Le ‘sexe’ du vélo, c’est aussi la virilité de la chute, du risque, de la performance », les hommes représentent « 86% des morts en France, notamment chez les livreurs à vélo, nouveau dangereux métier d »homme’ « , souligne le géographe dans un article publié dans le journal du CNRS.
Pour Chris Blache, co-fondatrice de « Genre et Ville », « le problème est que les conditions dans lesquelles on peut faire du vélo aujourd’hui freinent les femmes ». En France comme dans de nombreux pays européens, à l’exception de ceux du Nord.
La consultante en socio-ethnographie, qui vient de réaliser une enquête auprès des usagères de Vélib, souligne auprès de l’AFP l’importance de « créer un environnement sécurisé pour accéder au vélo » (éclairage public, garages), « de mettre en place la continuité des pistes cyclables et de les élargir pour permettre aux vélos-cargos de circuler, mais aussi de ralentir la circulation ».
« La révolution du vélo sera menée par les femmes ! Dans une ville qui est dessinée par les hommes et pour les hommes, nous devons faire que les rues ne soient pas un environnement hostile », twittait fin février la sociologue et maire EELV du XIIe arrondissement parisien, Emmanuelle Pierre-Marie.
Chris Blache, qui a beaucoup travaillé sur les quartiers prioritaires de Villiers-le-Bel (Val-d’Oise), où seuls les balcons peuvent faire office de garage, pointe aussi du doigt des questions de « praticité ».
« Masculinité dominante »
De fait, plusieurs études montrent que la pratique féminine du vélo est encore plus faible dans les quartiers populaires.
Parmi elles, la thèse de David Sayagh, chercheur à l’Ecole de l’aménagement durable des territoires, consacrée « au clivage sexué des pratiques du vélo durant l’adolescence », notamment dans les quartiers prioritaires des métropoles de Montpellier et Strasbourg.
« Dans ces quartiers, on voit qu’il y a des normes sexuées, genrées : il n’est pas bienvenu pour une jeune femme d’afficher son corps en mouvement en train de faire du vélo, surtout si c’est seule », relate-t-il.
« Le vélo, notamment dans les milieux populaires, sert de support à la construction à la masculinité, et à une masculinité dominante puisqu’on parle d’occupation et de prise de risque dans l’espace public », poursuit-il.
Représentations et croyances jouent aussi : « Dans des centres socio-culturels, des éducatrices m’ont dit que certaines mères de famille avaient peur que leurs filles perdent leur virginité à vélo. Il y a encore ce genre de croyances dans certaines familles avec un capital scolaire peu important ».
A ses yeux, pour pouvoir « parler d’égalité », il faudrait « que les femmes se sentent aussi libres de rouler au sein du trafic motorisé, d’adopter l’itinéraire le plus rapide sans faire de détour pour éviter certaines zones, qu’elles se sentent libres de se pencher sur leur vélo quelle que soit leur tenue vestimentaire, ou encore de pratiquer seules la nuit. »
Cennet, qui enfourchait vendredi un destrier fluo lors d’un « atelier vélo » à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), n’en est pas encore là.
A 47 ans, grâce à l’association des Femmes des Francs-Moisins, une cité de cette ville populaire, elle a réalisé un de ses rêves : apprendre à faire du vélo. « J’en avais envie depuis toute petite. Mais, comme pour les études, je n’avais jamais pu le faire », sourit cette mère de famille qui a grandi en Turquie.
Comme une demi-douzaine d’habitantes de son quartier, elle décrit « le bonheur » et « le sentiment de liberté » éprouvé en pédalant. Son apprentissage terminé, elle avoue craindre de se lancer seule dans la circulation, dans une ville où les pistes cyclables sont rares.
« La prochaine étape est de leur permettre d’acquérir des vélos d’occasion », explique Simon Gaudin, chargé de mission pour l’association Ufolep, qui accompagne plusieurs ateliers de ce type en Seine-Saint-Denis. Mais aussi d’apprendre à ces femmes à réparer leur vélo. Pour être, vraiment, autonomes.
AFP