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Le théâtre fait son cinéma


Pour une troisième adaptation sur grand écran de la pièce d’August Strindberg, la Norvégienne Liv Ullmann signe une Miss Julie discutable.

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Jessica Chastain et Colin Farrell n’arrivent pas à redonner vie, au cinéma, à leurs personnages issus du théâtre. (Photo : DR)

À 76 ans, Liv Ullmann revient derrière la caméra – quatorze ans après son cinquième et précédent film, Trolösa (en VF : Infidèle). Mais voilà, une question inévitablement se faufile : pour quelle raison une femme de cinéma comme Liv Ullmann a-t-elle tenu à réaliser une nouvelle adaptation de l’impeccable Mademoiselle Julie de Strindberg ? A-t-elle souhaité réaliser un caprice? Rendre hommage à l’un des plus grands et importants dramaturges scandinaves?

À la presse, elle a expliqué avoir concrétisé, là, une envie de longue date : « Je rêvais, étant jeune, d’incarner le personnage de Mademoiselle Julie sur les planches. Depuis lors, j’entretiens un rapport étroit avec la pièce. Et dès que j’ai commencé à travailler sur l’adaptation, je me suis régalée, non seulement par ce que Strindberg avait écrit, mais aussi par des motifs qui m’importaient personnellement : être vue ou demeurer invisible, donner une image de soi qui ne correspond pas à ce que l’on est vraiment, être aimé pour soi-même et non pour ce que les autres voient en vous, les rapports de sexes, les crises qui en découlent. » Elle aurait pu ajouter que l’amour impossible face aux normes sociales – le thème central de Miss Julie – a toujours été un de ses thèmes de prédilection puisqu’elle l’avait déjà traité dans deux de ses précédents films, Sofie (1992) et Kristin Lavransdatter (1995).

> Une histoire irlandaise

Chez Strindberg, l’histoire de Miss Julie se déroule en Suède. Dans le film de Liv Ullmann, changement de décor et de lieu géographique puisque la réalisatrice met en scène son film en Irlande. Elle justifie : « Cela aurait pu se passer en Angleterre, mais j’ai pensé que l’affrontement des classes sociales dans la pièce était plus proche de l’Irlande à la même époque. Même les différentes façons de parler, le langage des maîtres et celui des domestiques, semblaient offrir un parallèle. » Mais la réalisatrice aurait aussi pu, dû confier que ce déplacement de l’intrigue était la conséquence d’une exigence conjointe des coproducteurs norvégien, français, britannique et irlandais!

Et voilà comment Strindberg se retrouve embarqué en Irlande en 1890… Là, alors que tout le monde fête la nuit de la Saint-Jean et ses feux, Miss Julie et John, le valet de son père, se charment, se jaugent et se manipulent sous les yeux de Kathleen, la cuisinière du baron et jeune fiancée de John. Lequel, depuis de nombreuses années, convoite la comtesse en qui il pense tenir le moyen de s’élever dans l’échelle sociale…

La qualité de Miss Julie réalisée par Liv Ullmann tient avant tout par la qualité de jeu de Jessica Chastain, aux côtés de Colin Farrell. À 37 ans, la comédienne américaine (qui a remporté un Golden Globe en 2013 dans la catégorie « meilleure actrice dans un drame » pour son rôle dans Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow) restera comme une des stars de l’année 2014 – on l’a vue cet automne dans Interstellar de Christopher Nolan, on la retrouvera les semaines prochaines dans A Most Violent Year de J.C. Sandor et Salomé d’Al Pacino et à la fin 2015 chez Guillermo Del Toro dans Crimson Peak ou encore Xavier Dolan dans The Death and Life of John F. Donovan.

Commentaire de la réalisatrice au sujet de son actrice : « Il a suffi que je la rencontre une fois à Los Angeles pour m’apercevoir que nous étions sur la même longueur d’onde : elle était venue préparée et avait d’emblée imaginé la façon dont elle allait jouer la scène de l’oiseau à la fin, c’était saisissant! » Mais malgré la performance de l’Américaine à la chevelure étourdissante, une fois encore Liv Ullmann, comme tant d’autres avant elle, n’a pas réussi à transposer le théâtre au cinéma. Son Miss Julie, long film (2 h 13 !), est aussi réussi esthétiquement que raté formellement avec une mise en scène tristement conventionnée.

De notre correspondant à Paris, Serge Bressan