Le théâtre d’Esch a levé le voile, mercredi, sur sa nouvelle saison, faisant état d’une programmation chargée et ambitieuse, riche en créations et recréations, et offrant des premiers éléments de programmation pour Esch 2022.
C’était une histoire de perte de contrôle, catalysée par une pandémie qui a laissé partout où elle est passée de nombreuses victimes, dont la culture, et en particulier les arts de la scène. C’est désormais une histoire de contrôle retrouvé, et il s’agit de le célébrer. Surtout à l’approche de 2022, année qui verra Esch-sur-Alzette devenir capitale européenne de la culture. Alors le théâtre, au cœur de la ville, s’offre un double challenge colossal, celui de proposer au public une programmation qui soit à la fois internationale, nationale, locale et, en même temps, de rattraper les ratés involontaires de la saison passée et de celle qui termine son cours. De la saison 2021/2022, Carole Lorang dit qu’elle sera, une nouvelle fois, «à l’épreuve du Covid», tout en rappelant que durant la saison actuelle, «la majorité des spectacles programmés ont pu être montrés». «Seulement sept projets ont dû être reportés», indique la directrice du lieu, et, selon la politique anti-annulation que le théâtre s’était promis de suivre, ils seront présents pendant la nouvelle saison. De quoi rassurer ceux qui craignaient que le retour à la normalité tarde à s’imposer.
À Esch comme ailleurs, le théâtre a dû faire avec le sentiment schizophrène des signaux positifs renvoyés par le succès des représentations en période de pandémie – «Nous avons à chaque fois fait salle pleine et avons même parfois dû ajouter des représentations», s’est félicitée Carole Lorang – et la triste réalité d’une salle soumise à d’inflexibles restrictions pour se retrouver dans un oxymorique «vide rempli» devenu routinier. Mais cette nouvelle saison s’enorgueillit – à raison – de ce qu’elle entend accomplir : axer sa programmation autour de thèmes forts, en offrant de la place à la création et en variant les formes des œuvres scéniques et, par-là même, les publics. Une donnée importante lorsque l’on considère le théâtre comme un lieu dont le déconfinement a été symbolique, et qui prend désormais la route de l’accueil à 100% de sa capacité, attendue d’ici la fin de l’année.
Drôle, poétique, intellectuel
«Nous sommes des êtres tragicomiques et les temps difficiles que nous vivons nous le rappellent», peut-on lire dans le communiqué transmis par le théâtre d’Esch. L’un des axes de programmation, pour cette saison «exceptionnelle» louée aussi bien par Carole Lorang que par Pim Knaff, échevin à la Culture de la ville, est né d’une «envie» de la directrice : celui de «défendre l’humour sous toutes ses formes». Du théâtre, il y en aura, mais aussi, donc, du cirque, de la danse, de la chanson… Le théâtre d’Esch convie toutes les formes de langages à faire rire, mais en tissant sa programmation, entend renvoyer le spectateur à des problématiques de société, pour lesquelles l’humour n’opère qu’une diversion à peine voilée. Ce sera notamment le cas de la création Il n’y a rien dans ma vie qui montre que je suis moche intérieurement, d’Agnès Limbos, qui promet une bonne dose d’humour noir dans une ambiance de fait divers. Ce sera sans doute le cas, aussi, d’Idiomatic, autre création faite sur mesure pour le théâtre d’Esch – et labellisée «Esch 2022» – par le collectif belge Transquinquennal, qui «s’intéressera aux réalités linguistiques du territoire luxembourgeois», indique Carole Lorang, et avec le même humour trublion, on l’imagine, que leur étrange Caliméro, curieuse réflexion participative sur la domination du mâle blanc de plus de 50 ans présentée à Esch en mars dernier.
Des invités internationaux, il y en aura forcément, en la personne de Yolande Moreau, qui devait jouer son spectacle autour de Jacques Prévert en 2020 et qui l’amènera sur la scène eschoise en décembre, ou avec son ex-partenaire des Deschiens François Morel, qui jouera lui aussi une pièce musicale aux relents de pêche et de calvados, Tous les marins sont des chanteurs. Mais cette saison 2021/2022 se démarque surtout par ses créations et recréations, au nombre de dix-sept, sur les quarante spectacles prévus. Des soirées qui feront la part belle au poétique (Une forêt, Les Paroles impossibles, Big Box, Ne pas finir comme Roméo et Juliette…) mais qui n’en oublieront pas moins d’affronter des thématiques engagées et actuelles (Human Nations, United Rights) ou plus intellectuelles (Qui a tué mon père – nouvelle création tirée d’un roman d’Édouard Louis après Histoire de la violence, en 2019, cette fois avec Luc Schiltz –, Visage), sans oublier les «propositions participatives» qui unissent sur scène «comédiens et citoyens» (Der Besuch der alten Dame, Human Nations, United Rights).
L’Ariston, «magique et polyvalent»
«Au Luxembourg, on parle beaucoup de production et de durabilité», note Carole Lorang, qui masque à peine le double sens des mots, qui s’appliquent bien au-delà du théâtre. Il ne s’agit pas de faire de l’art de la «récup’», mais «au théâtre, on a demandé à des artistes de reprendre et d’enrichir certaines de leurs créations». L’objectif étant de continuer à explorer des thématiques chères aux artistes en question – c’est le cas de la danseuse et chorégraphe Simone Mousset, artiste en résidence au théâtre d’Esch et qui présentera cet été à Avignon sa pièce The Passion of Andrea 2, créée en 2019 – et, surtout, de s’aligner sur le leitmotiv d’Esch 2022 : «Remix culture». Car une partie de la programmation, bien entendu, fera partie du programme de la capitale européenne de la culture. Pim Knaff l’a d’ailleurs souligné : «Pour la première fois, on donne une vraie visibilité sur la programmation d’Esch 2022», avec neuf spectacles qui sont, donc, les tout premiers éléments de programmation de l’année chargée qui se profile à l’horizon. Dont deux partenariats avec le festival messin Passages (Mailles, de Dorothée Munyaneza, et After All Springville, de Miet Warlop), un spectacle de flamenco (Gozo y llanto) ou encore la curieuse performance transmédia The Assembly.
«Après 2022, Esch n’aura plus le même visage. C’est une ville qui sera ouverte à la création, avec de nouvelles institutions.» Pim Knaff en profite donc pour faire un point sur un sujet attendu : l’avancée des travaux de l’Ariston, qui se portent bien, si l’on en croit l’échevin, selon qui l’endroit est déjà «magique». L’ancienne salle de cinéma, en service à partir du printemps 2022, compte enrichir et diversifier l’offre que propose déjà le théâtre. Dotée d’une scène de 8 à 12 mètres, en longueur comme en largeur, elle s’ouvrira en particulier aux jeunes publics sans renier la diversité des formats qu’elle accueillera. Un vrai lieu «polyvalent» qui s’impose déjà, avant même son ouverture, comme un incontournable eschois. Carole Lorang, pour sa part, précise que «la jauge sera de 172 places assises». On en rappelle les conditions ?
Valentin Maniglia