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«Le théâtre, c’est de l’émotion, et sans contacts, il disparaît!»


«Imaginez que c'est la première fois dans ma longue carrière que j'ai dû annuler les répétitions», souffle Véronique Fauconnet, la directrice du TOL. (Photo archives Editpress)

Répétitions annulées, pièces repoussées et comédiens au chômage technique… Les théâtres luxembourgeois sont paralysés par la crise sanitaire. Le TOL et le Centaure, qui devaient présenter des créations à la mi-avril, racontent l’étrange situation du moment.

Ces derniers jours, alors que le problème sanitaire lié au coronavirus n’était pas aussi problématique et sensible qu’aujourd’hui, les théâtres luxembourgeois poursuivaient tranquillement leurs habitudes, tout acquis aux répétitions et aux prochaines pièces à présenter. Le coup de semonce est arrivé avec le LuxFilmFest, qui s’est alors brusquement arrêté, confirmant pour le coup l’urgence de la situation et les premières annulations, elles déjà concrètes, dans certaines salles de concert.

Au goutte à goutte, incités par de soudaines décisions gouvernementales, les centres culturels et les théâtres se sont vus contraints de fermer leurs portes. Chacun, à sa manière et à son rythme, a affiché sur son site internet ce qui, jusque-là, était inconcevable : la mise entre parenthèses de sa saison. Un véritable crève-cœur. «Imaginez que c’est la première fois dans ma longue carrière que j’ai dû annuler les répétitions», souffle Véronique Fauconnet, la directrice du TOL.

Elle explique cette «atmosphère étrange» et ce «stress émotionnel» qu’elle connaît depuis une semaine. «Tout a changé depuis jeudi dernier, précise-t-elle. D’abord, en début d’après-midi, on a annulé le spectacle de Claude Frisoni (Mais soit sans tweet), à l’affiche samedi. Cela dit, on était confiant pour la suite : on s’est même dit, avec les comédiens : « bon, on se voit lundi pour les répétitions! »».

Seulement, les mesures successives de confinement font voler en éclats les rares certitudes entourant encore l’une des créations maison du TOL, dont la première était prévue le 21 avril : Objet d’attention. Véronique Fauconnet, également à la mise en scène de cette pièce, raconte : «Dès le samedi, le comédien Matila (Malliarakis) m’appelle de Paris et me demande : « Je prends le train ou non? ». On sent que tout dérape, et que c’est plutôt mal barré.» En concertation par téléphone avec les autres «petits» théâtres du pays (Casemates, Centaure), mais surtout avec Frank Hoffmann, le directeur du TNL qui doit accueillir les représentations, elle avoue rapidement ne plus savoir sur quel pied danser : «Tout changeait chaque demi-journée. J’avais l’impression de devenir folle.»

Des visioconférences ? « C’est impossible »

L’irrémédiable arrive, car «il fallait être raisonnable et courageux» : annuler Objet d’attention en attendant, qui sait, des jours meilleurs. Et pourquoi ne pas répéter à distance et mettre en place des discussions via des visioconférences? Véronique Fauconnet balaie l’idée d’un revers de main : «Assistez à une répétition et vous verrez. On ne se tient pas à deux mètres de distance, on postillonne, on se touche… Le théâtre, c’est de l’émotion, et sans contacts, il disparaît! Je ne m’imagine pas voir mes comédiens à travers un écran. C’est impossible!»

Même son de cloche chez Myriam Muller, la directrice du Centaure, qui se retrouve avec deux pièces sur les bras : Trouble affectif saisonnier, programmé pour la fin avril, ainsi que Bug, pour début mai, dans laquelle elle joue : «Le théâtre ne peut pas fonctionner à distance, en dehors peut-être du stand-up, qui est différent, soutient-elle. L’éloignement, c’est même quelque chose de foncièrement antinomique dans notre métier.»

Aux tout premiers soubresauts la semaine dernière, la comédienne a rapidement vu que ça n’allait pas tourner dans leur sens : «Certains théâtres voulaient maintenir les répétitions. Moi, je ne le sentais pas trop, surtout que dans Bug, il y a un comédien qui vient de Paris et un musicien de Berlin. J’ai eu raison. Malheureusement…» Au TOL comme au Centaure, on mise toutefois sur un report, ne serait-ce que pour ne pas perdre les efforts investis. Mais là aussi, l’envie questionne et se heurte à des problèmes.

«Ce sera peut-être nécessaire de rediscuter la forme des pièces, et trouver d’autres dates, ce qui n’est pas simple, éclaire Myriam Muller. Décaler une pièce ne dépend pas seulement de la disponibilité des artistes, mais aussi des théâtres. Le Centaure, par exemple, a déjà bouclé sa programmation pour la prochaine saison. Je dis quoi aux équipes engagées pour 2021? Ben non, finalement, ça va pas le faire… Non, on est bloqués!»

C’est la situation des comédiens qui importe le plus

Au TOL, l’hypothétique projection se heurte aussi à des contraintes structurelles : «Monter une pièce, c’est avoir du temps pour travailler un texte, mais aussi monter un décor, des lumières… Oui, j’aimerais qu’Objet d’attention soit au programme en septembre, mais le TNL a-t-il les moyens de le faire? Pas sûr.» Finalement, dans ce climat incertain, une seule chose cristallise les efforts des deux directrices : la situation des comédiens.

«C’est sur quoi il faut agir dans un premier temps, martèle Myriam Muller. C’est même le plus important que nos comédiens ne soient pas étranglés financièrement. On a pris des engagements auprès d’eux. Il faut les respecter.» D’ailleurs, dès dimanche selon leurs dires, le gouvernement luxembourgeois a vite réagi, notamment vis à vis des intermittents du spectacle, à travers quelques mesures déjà effectives (aides à caractère social, indemnités journalières supplémentaires…). «On nous a rassurés, poursuit Véronique Fauconnet. C’est agréable de ne pas se sentir seul… en plein confinement!»

Myriam Muller enchaîne : «Six semaines d’inactivité, ce n’est pas rien, mais certains secteurs sont plus en danger que le secteur culturel.» Elle évoque notamment la situation des théâtres privés, «fortement subventionnés». «C’est un matelas non négligeable.» Malgré tout, à l’heure qu’il est, tout reste «hypothétique», conclut cette dernière qui, comme son homologue, croise les doigts pour que la fin de saison puisse se dérouler normalement. «Reprendre en septembre, ça, personne ne le souhaite», prolonge Véronique Fauconnet, suspendue, comme tout le monde, à l’évolution de l’épidémie.

Grégory Cimatti

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