S’unir pour ne pas sombrer : avec Lingui, les liens sacrés, le réalisateur tchadien Mahamat-Saleh Haroun affronte les thèmes de l’avortement et de l’excision, et met en scène des femmes survivant dans une société ultraconservatrice.
Le nouveau film du cinéaste tchadien Mahamat-Saleh Haroun, sorti en salle mercredi, avait été remarqué dans la compétition du dernier festival de Cannes, en juillet. Lingui, les liens sacrés a été filmé dans les faubourgs de N’Djamena, capitale du Tchad.
Pour la première fois, le réalisateur consacre un film à des personnages féminins en racontant l’histoire d’Amina (Achouackh Abakar Souleymane), mère seule, qui découvre que sa fille de 15 ans, Maria (Rihane Khalil Alio), est enceinte.
Une grossesse, fruit d’un viol, dont l’adolescente ne veut pas, dans un pays où l’avortement est condamné par la religion, mais aussi par la loi. Le film dresse un portrait fort de femmes qui tentent de survivre dans un milieu hostile où patriarcat et religion empoisonnent la vie des femmes.
Unique lueur d’espoir, le «lingui», lien qu’elles vont tisser pour tenter de s’en sortir. Amina fera le choix de soutenir sa fille dans sa quête pour avorter, allant contre sa foi.
«Les femmes portent le monde»
Pour le réalisateur, qui avait reçu le prix du jury à Cannes en 2010 pour Un homme qui crie – qui se déroule durant la guerre civile au Tchad – le film ne traite pas seulement de la question de l’avortement, mais du «quotidien des femmes» dans son pays de naissance.
«C’est un film sur les héroïnes du quotidien (…) Ce sont elles qui portent le monde qui les maintient dans une forme de domination. Parler des femmes, c’est forcément parler de tous ces problèmes», avait-il expliqué après la présentation de son film sur la Croisette, où il était, au sein de la compétition, le seul représentant de l’Afrique subsaharienne.
Si le film n’a pas obtenu de prix, il fut applaudi de longues minutes à l’issue de la projection. Le réalisateur n’a pas pu cacher son émotion : «Je me souviens de la première fois où je suis arrivé à Cannes. J’étais au dernier rang, là-haut, et je me disais que ce serait bien que je sois en bas, quand même. Et à chaque fois que je me retrouve ici, je me dis naïvement : « Si j’aime croire en cette idée, qu’il y a un jeune ou une jeune assis au dernier rang qui se dit qu’un jour il descendra ici », et ça, ça me galvanise», a-t-il lancé au public.
«Aller à l’essentiel»
Dépouillée, la mise en scène imaginée par Mahamat-Saleh Haroun séduit par sa simplicité et son lyrisme. «J’ai grandi dans le dépouillement, pour moi c’est important d’aller à l’essentiel», avait-il justifié. Le regard bienveillant du réalisateur est perceptible à tout instant sur ces personnages en quête d’émancipation, à l’heure où le cinéma s’interroge sur le «male gaze», le regard masculin dans les films.
«En tant qu’homme, je fais partie du patriarcat, mais on arrive toujours en tant qu’individus en conscience à se débarrasser de tout ce qu’on a eu en héritage. Il faut croire en cette possibilité que l’homme puisse changer», assure le cinéaste tchadien.
Conscient d’être l’une des voix de l’Afrique subsaharienne, Mahamat-Saleh Haroun, qui vit entre le Tchad et la France, ne veut toutefois pas être réduit au statut de porte-parole. «On essaye modestement de faire avancer les choses. En filmant au Sahel, j’ai aussi conscience que c’est un lieu où je peux produire des images positives dans un endroit où la vie est un cauchemar permanent», avait souligné celui qui a été un temps, au Tchad, ministre de la Culture et du Tourisme.
Largement sous-représenté dans la production cinématographique mondiale, le continent africain n’a raflé qu’une seule Palme d’or dans l’histoire du festival de Cannes, avec Chronique des années de braise (1975), de l’Algérien Mohammed Lakhdar-Hamina.
Lingui, les liens sacrés,
de Mahamat Saleh Haroun.
Actuellement en salles.
En filmant au Sahel, j’ai conscience que c’est un lieu où je peux produire des images positives dans un endroit où la vie est un cauchemar permanent