Le travail d’Alexia Cassar, ex-biologiste devenue tatoueuse, n’a rien de banal : rendre un téton et une aréole aux femmes qui se sont fait reconstruire un sein après un cancer.
Depuis septembre, des femmes venues de toute la France se succèdent dans le cabinet installé dans le jardin de son pavillon de Marly-la-Ville, près de l’aéroport parisien de Roissy.
La leucémie de sa fille pour déclencheur
Au point de départ de ce changement de vie, « un tremblement de terre » : alors qu’elle travaille depuis 15 ans dans le développement de nouvelles molécules contre le cancer, Alexia Cassar et son mari apprennent en 2013 que la « petite dernière » de leurs trois enfants est atteinte d’une leucémie aiguë.
« Tout à coup, je me suis retrouvée de l’autre côté de la barrière », raconte cette quadragénaire au regard perçant.
Elle tombe un jour sur la vidéo d’une Américaine qui tatoue les seins monochromes des femmes revenues d’un cancer et qui, après une ablation, ont fait le choix de se faire reconstruire un sein. C’est alors une « évidence »: « Moi qui ai toujours dessiné, je me suis dit qu’il y avait là quelque chose pour moi ».
La chercheuse commence par sonder oncologues et chirurgiens. Pendant une année, elle apprend ensuite le métier chez un tatoueur. Puis se rend aux États-Unis pour être formée au tatouage en trompe-l’œil avec effet 3D. Manque simplement… l’argent. Sans trop y croire, elle lance une campagne de crowdfunding (financement participatif) : 33 000 euros récoltés, de quoi lancer son activité.
Juste avant, sa mère et sa sœur lui ont offert un morceau de leur peau pour qu’elle teste sa dextérité. « On a toutes les trois un téton en forme de cœur », rigole-t-elle.
« Marre de me faire charcuter »
Alexia Cassar a déjà reçu une soixantaine de femmes. Sur leur sein reconstruit, elle a dessiné un téton et une aréole, copies quasi-conformes de ceux du sein non malade.
« Cela m’a permis de tourner la page, de mettre un point final à la réappropriation de ma féminité », raconte Aurélie, 41 ans et diagnostiquée à 37, qui ne se « regardait plus dans la glace ».
L’aboutissement d’un processus de quatre ans : chimiothérapie, ablation du sein (subie par 20 000 femmes chaque année en France, un chiffre en hausse), radiothérapie, reconstruction mammaire… Pour recréer un mamelon, on lui avait proposé une greffe avec un morceau de son mamelon sain. Et, pour l’aréole, avec de la peau de l’aine – opération qui se pratique aussi avec des tissus prélevés sur la vulve. « Hors de question » pour la jeune femme, qui « en avait marre de se faire charcuter ».
Généraliser le remboursement
Pour Nicolas Leymarie, chirurgien plastique qui a accueilli Alexia Cassar dans son bloc, cette dernière est venue combler « un vrai manque ». « Il existe bien une technique de dermo-pigmentation – tatouage semi-permanent – mais on est obligé d’y revenir tous les deux-trois ans et ce n’est pas très esthétique », souligne le médecin. A ses yeux, « il n’y a pas de raison que le tatouage, qui offre des résultats magnifiques, ne soit pas remboursé ».
Deux des clientes de la tatoueuse, qui facture 400 euros sa prestation, ont obtenu un remboursement de l’assurance maladie. Et une mutuelle a aussi donné son feu vert.
Selon elle, la réussite de son entreprise tient à sa double casquette : « Si j’avais été une simple tatoueuse, je n’aurais jamais eu un badge pour aller parler à l’Institut Curie ». Prochaine étape : « Former un nombre restreint de tatoueurs qui ne se consacreraient qu’à cette tâche, en relation avec des hôpitaux de proximité ».
Le Quotidien/AFP