Hommage à la nature et à ses nobles éléments, l’œuvre raffinée de Susumu Shingu apaise autant qu’elle émerveille. À découvrir au Mudam, jusqu’au 6 janvier 2019, premier musée européen que l’artiste japonais investit.
Parler du Japon comme d’un pays sensible à l’écologie, à la poésie de l’infime et à la culture zen serait un parallèle trop facile à effectuer. Ou la démonstration d’un énième cliché suranné. Parlons plutôt ici d’état d’esprit, celui d’une plus vieille école, pour évoquer le travail de Susumu Shingu, 81 ans tout de même cette année. Ceux qui se demandent ce que font ces sculptures animées, depuis la mi-mars, par le vent soufflant dans le parc Dräi Eechelen se tourneront désormais vers l’œuvre légère et raffinée de cet artiste sensible à la nature et à ses échos invisibles.
À l’instar de cet ensemble (intitulé «Wind Caravan») qu’il a trimballé de la Nouvelle-Zélande à la Mongolie en passant par le Maroc et la Finlande, plusieurs de ses sculptures sont installées partout dans le monde, dans des musées et sur des places publiques – l’exemple le plus fameux reste son récent «musée» du vent, installé en 2014 dans la préfecture de Hyogo où, au cœur d’un parc, Susumu Shingu a posé une douzaine de ses pièces afin que le public s’y perde en toute tranquillité.
Lui qui a commencé son œuvre il y a plus de cinquante ans en tant que peintre – comme en témoigne un très beau travail d’illustrateur – et l’a ensuite poursuivie en avant-gardiste a donc cette capacité à travailler avec aisance en plein air comme à l’intérieur. Rien d’étonnant, ainsi, de voir son nom associé à des architectes de renommée mondiale tels que Tadao Ando ou encore Renzo Piano. Ce qu’il confirme avec cette invitation au Mudam, premier musée en Europe à le célébrer, et dans lequel il a investi l’entrée, le grand hall du musée et une galerie d’exposition.
Du Calder dans l’air et l’esprit
«Si je n’aime pas un espace, je l’ignore, souffle-t-il du bout des lèvres. Mais le Mudam, j’adore !», saluant par là même l’ouvrage d’Ieoh Ming Pei. Ainsi, dispersées ici et là, une quinzaine d’œuvres – dont une nouvelle production – donnent au musée des airs paisibles. À l’écoute de la nature, Susumu Shingu en a, en effet, perçu le potentiel inépuisable de variations. Une délicatesse qui se retrouve dans des mobiles – qui rappellent, dans leurs couleurs (vert, bleu, jaune), ceux de Calder – et d’autres sculptures à l’équilibre fragile.
Faisant des phénomènes naturels (air, eau, lumière, gravité, apesanteur…) ses alliés – les mêmes qui inspiraient les artistes de la Renaissance, à commencer par de Vinci –, l’artiste joue avec ces murmures de vie, s’érigeant comme un passeur entre ces forces primitives et les hommes. Si ses pièces, par exemple, matérialisent le vent, elles ne le réduisent pas à un simple rôle de force éolienne. Le souffle de l’air – permis grâce à des ventilateurs posés discrètement dans chaque recoin – joue avec les éléments comme bon lui semble et les modifie en permanence.
Idem avec l’eau : preuve en est avec la majestueuse «Water Tree II». Ce matériau «atmosphérique» qu’il use, qu’il sculpte à souhait, souligne son rapport au monde, sa conscience écologique – rappelons que Susumu Shingu a eu, un temps, l’idée «utopique» de créer une île autosuffisante.
Mieux, cette succession infinie d’instants poétiques et fugaces au renouvellement, donc, jamais répété, convainc également du caractère cyclique du vivant et de son éternel recommencement. Raison de plus pour ralentir le rythme, laisser parler les cœurs et savourer cet assemblage d’une beauté ludique. Les amoureux du Japon comprendront sans sous-titres. Les autres aussi.
Grégory Cimatti