La crise va-t-elle changer les médias? L’épidémie de coronavirus qui s’étend à travers le monde est aussi une nouvelle épreuve pour ce secteur qui traversait déjà une crise de confiance inédite.
Les citoyens confinés restent partout scotchés à l’information. Dès le début du mois de mars, plus de 90% des Italiens, Japonais et Coréens s’informaient une fois par jour sur les actualités liées au virus, et plus de la moitié plusieurs fois par jour, selon un sondage Edelman réalisé du 6 au 10 mars. Si les réseaux sociaux ont brisé le quasi-monopole des médias sur l’information, la presse reste centrale: pour s’informer sur le virus, la moitié des Américains continuent de faire confiance aux médias traditionnels, et beaucoup moins aux réseaux sociaux, selon un autre sondage réalisé par l’institut Ipsos à la mi-mars, pour le média Axios.
Cette crise pourrait bien être une occasion pour les médias de retrouver la confiance des lecteurs. Et pour les lecteurs confinés de choisir les titres, petits ou grands, auxquels ils accordent leur confiance. « Il n’est pas trop tard pour refonder la confiance des gens dans la science, les autorités publiques et les médias », a plaidé l’historien israélien Yuval Noah Harari dans le Financial Times. « C’est un moment important pour les médias », confirme l’historien Patrick Eveno, président du Conseil français de déontologie journalistique. « D’abord pour montrer qu’ils sont au service du public, avec des infos fiables, en faisant le tri ».
En temps de crise une information viable est vitale
Non, le coronavirus détecté en Chine n’a pas été créé puis breveté par l’institut Pasteur, a souligné Factuel, le blog de fact-checking de l’AFP. Non, on ne sait pas si la chaleur printanière « tue » littéralement les virus. « Dans le cadre d’une urgence sanitaire publique, une information fiable et exacte est vitale, et la BBC a un rôle clef a jouer », a souligné sur son antenne Fran Unsworth, la directrice de l’information du média public britannique, qui connaît aussi des records de fréquentation.
« Les lecteurs cherchent des analyses supplémentaires, des infos-services et des témoignages », explique de son côté Ricardo Kirschbaum, de Clarín, le quotidien argentin le plus vendu. Le journal a vu exploser la fréquentation de son site, des lecteurs s’y rendant directement, sans passer par les réseaux sociaux. « Ils veulent savoir ce qui se passe dans d’autres pays, comme l’Italie, l’Espagne et la France, que nous couvrons avec nos propres correspondants ». Le journal a aussi lancé une newsletter quotidienne avec les infos essentielles sur la pandémie.
Manque de réactivité et de profondeur en début de crise
« Ce n’est pas une période propice aux scoops, au +business as usual+ », souligne Marina Walker, du Pulitzer Center, une ONG américaine de soutien au journalisme. « Nous sommes tous face au même ennemi: c’est le moment d’être solidaires, de travailler en profondeur, de montrer qu’on écrit pour nos lecteurs et pas pour des agendas politiques ou des intérêts économiques ». Le centre Pulitzer soutient financièrement des projets journalistiques qui misent sur la collaboration entre plusieurs rédactions, pour couvrir des aspects oubliés de la crises.
De nombreux médias ont pourtant déjà péché par lenteur au début de la crise, tempère le sociologue italien Edoardo Novelli, de l’université Roma 3. Selon son étude « Infomood » sur les publications de 257 médias européens sur Facebook, réalisée du 1er janvier au 14 mars, « les journaux se sont fait largement influencer par leur gouvernement national, qui en Allemagne, France ou au Royaume-Uni, ont sous-estimé la crise à venir. « Ils n’ont pas rempli leur rôle », regrette cet ex-journaliste devenu professeur de communication et de sociologie.
La crise accélère la mort des quotidiens papier?
La crise pourrait, enfin, accélérer une transition en cours: la mort des quotidiens papier. Alors que la France entrait en quarantaine, les ventes de quotidiens en kiosque ont baissé de 24% le lundi 16 et de 31% le mardi 17 mars, selon le distributeur Presstalis.
« Des journaux vont périr ou se regrouper, tout dépendra de la longueur du phénomène », souligne l’historien Patrick Eveno. « Mais les médias qui sont considérés comme fiables vont en profiter en multipliant leurs abonnements numériques ».
LQ / AFP