Depuis le XIXe siècle, les ballerines retravaillent et chaussent leurs pointes taillées sur mesure, outil incontournable de leurs performances. Explications avec une étoile de l’Opéra de Paris, Valentine Colasante.
Dans un sous-sol du Palais Garnier, Valentine Colasante, danseuse étoile de l’Opéra de Paris, enduit de vernis durcisseur l’intérieur de la semelle de ses pointes avant de les faire sécher dans une machine. Un rituel fréquent lorsqu’elle danse un grand ballet académique. Jusqu’à la semaine dernière, «on dansait le Lac des cygnes à l’Opéra Bastille et, pour chaque représentation, j’utilisais entre deux et trois paires», explique la danseuse. «Je suis dans ce local souvent ces derniers temps!», sourit-elle.
Elle change de chaussons après chacun des trois actes pour avoir des pointes «qui maintiennent bien la voûte plantaire et permettent d’être très stable pour les pirouettes et les équilibres». Avec le fameux tutu, les pointes sont l’objet symbole par excellence du ballet. Si leur effet sur scène est magique, leur préparation suppose des heures de travail.
Depuis quelques années, de nombreuses ballerines s’amusent à poster sur les réseaux sociaux des tutos des différentes étapes de cette préparation. Car si les chaussons en satin sont faits sur mesure par des artisans, ce n’est pas du prêt-à-porter. «Pour ma part, la préparation des chaussons se fait maintenant relativement rapidement. C’est comme le chignon : je fais ça depuis que je suis toute petite, ça fait partie de ma routine», affirme l’étoile qui a obtenu le titre suprême en 2018.
On n’en finit pas de les ajuster!
Elle poursuit : «Mais il faut compter une bonne demi-heure par paire», explique la danseuse qui s’y consacre à ses «heures libres, avant ou après les spectacles». Elle consomme entre dix à quinze paires par mois et les réutilise pour des répétitions. Pour que ces objets fabriqués en papier et en carton épousent bien la forme du pied, il faut les assouplir manuellement – certaines les cassent, les plient ou les écrasent –, couper la semelle pour mieux souligner la cambrure du pied, coudre rubans et élastiques autour du pied, broder la pointe du chausson pour la stabilité et vernir la semelle pour que les pointes durent le plus longtemps possible.
Avant d’entrer sur scène, et pour éviter de glisser, certaines danseuses râpent la semelle externe, d’autres frottent la pointe dans un bac de colophane. «Une paire bien réussie doit être capable de tenir sur pointes toute seule», explique Valentine Colasante en faisant une démonstration. Une machine de ventilation a été mise en place par l’Opéra pour éviter de respirer la toxicité du vernis, alors que, dans le passé, les ballerines laissaient sécher leurs pointes le long des murs dans les couloirs. L’Opéra et ses mécènes prennent également en charge le coût des pointes (environ 60 euros la paire).
Un début d’apprentissage vers 12 ans
Apparues au XIXe siècle, les pointes ont beaucoup évolué et épousent de mieux en mieux le pied des ballerines. Chacune toutefois a sa technique pour protéger ses pieds et éviter les ampoules. Valentine Colasante, elle, met du sparadrap et surtout du coton décontaminé à l’intérieur de la pointe. «Certaines danseuses utilisent des embouts en silicone, mais je trouve que le coton permet de mieux prendre la forme des orteils.» «On a des pansements plus adaptés qu’avant, qui résistent mieux à la transpiration», dit encore la danseuse, qui utilise des lacets élastiques pour protéger son tendon d’Achille et ses ligaments.
Elle estime qu’avec l’habitude, les protections, les pointes sont moins douloureuses que ce que s’imaginent les gens. Le début de l’apprentissage commence vers 12 ans, selon la nomenclature du pied, avec une évolution le long de la carrière. «Quand j’étais plus jeune, je dansais avec des chaussons plus durs et, à mesure que mon pied s’est renforcé, j’utilise des pointes plus molles. On n’en finit pas de les ajuster!», affirme Valentine Colasante qui, comme les autres danseuses, donne souvent des conseils aux «petits rats» à l’école de danse. «C’est un objet qui me fascinait quand j’étais petite et la fascination est toujours la même», dit-elle.