À 42 ans, Alice Renavand va raccrocher ses pointes, comme l’exige la tradition à l’Opéra de Paris. Mais pour les danseurs qui ont justement dépassé cet âge fatidique, l’étoile veut créer une compagnie avec un répertoire adapté.
Mi-juillet, Alice Renavand a fait ses adieux au Palais-Garnier en dansant pour la première fois le ballet romantique Giselle, des débuts rares à la fin d’une carrière. «Giselle, c’était un rêve, un fantasme, et il fallait en même temps être à la hauteur», affirmait la danseuse de 42 ans dans un entretien mené quelques jours après sa prise de rôle, le 28 juin. Une date qui a coïncidé avec le 181e anniversaire de la création du ballet d’Adolphe Adam à l’Opéra de Paris, en 1841.
Fille d’un couple franco-vietnamien, Alice Renavand a été petit rat de l’Opéra dès huit ans. Elle a été nommée étoile «sur le tard», à 33 ans, en 2013, après un parcours plus contemporain que classique au sein du ballet de l’Opéra. Ces quatre dernières années, elle a dansé peu en raison d’une grossesse, d’une blessure, des grèves et de la pandémie. «Du coup, pour ma dernière saison, je suis allée jusqu’au bout en enchaînant trois prises de rôle», rit-elle. Elle fera même son premier Lac des cygnes au théâtre Mogador à la rentrée, dans la version pour enfants montée par un ex-danseur étoile, Karl Paquette.
Un collectif de rêve
«La boucle est bouclée» pour cette danseuse qui n’a pas eu des débuts faciles : à peine engagée dans le corps de ballet à 17 ans, sous le coup de la pression et de la concurrence, elle prend 20 kg. Elle les perdra et reprendra confiance grâce à une rencontre avec la grande chorégraphe allemande Pina Bausch, qui la repère quand elle vient créer sa version du Sacre du printemps à l’Opéra. «Je ne regrette rien. Les débuts n’ont pas été forcément glorieux, mais ça m’a permis d’aller chercher d’autres inspirations», dit la danseuse au visage sculpté et aux cheveux de jais.
Parmi ces inspirations, le NDT III, une branche du Netherlands Dance Theater qui avait été créée par le chorégraphe Jiri Kylian en 1991 pour des danseurs âgés de plus de 40 ans. Elle nourrit depuis longtemps le rêve de fonder un collectif pour les anciens danseurs de l’Opéra.
«Les danseurs sont capables de s’exprimer, sans avoir forcément une forme physique extraordinaire, et c’est ce qui me touche», dit la danseuse qui a contacté des danseurs et des chorégraphes pour ce projet. L’idée est de créer «un répertoire spécifique, en tenant compte de la fatigue physique, de la maturité artistique et de trouver des correspondances entre d’anciennes personnalités de la danse et des chorégraphes, plasticiens, musiciens…», décrit-elle.
«Renouvellement générationnel»
Elle estime que la retraite à 42 ans est essentielle pour permettre un «renouvellement générationnel» au sein d’une compagnie de 154 danseurs. Le régime spécial dont bénéficient les danseurs de l’Opéra de Paris, et qui remonte à Louis XIV, a été défendu bec et ongles en 2019 par la compagnie, qui a mené une grève historique d’un mois et demi lorsque le gouvernement de l’époque avait avancé sa proposition de réforme des retraites.
Au-delà du débat, la question de la reconversion des danseurs se pose de plus en plus au sein du ballet, jusqu’à mobiliser la directrice de la danse, Aurélie Dupont. «Depuis six mois, j’ai mis en place avec mes équipes un rendez-vous pour chaque danseur de 36 ans et plus, pour les sensibiliser sur leur reconversion», avait affirmé la directrice au moment de l’annonce de sa démission, en juin dernier. «Et depuis trois ans, nous accompagnons et acceptons les demandes de reconversion de tous les danseurs qui le souhaitent», souligne-t-elle, précisant que «c’est payé par l’Opéra».
«De plus en plus, les danseurs y pensent tôt», reconnaît Alice Renavand. «J’ai plein d’amis qui ont fait complètement autre chose : un qui est devenu architecte, une autre de la tapisserie… on se refait la vie, mais on reste danseur, avec la sensibilité qui est la nôtre.»