Le premier cinéma «éco-construit» et «autosuffisant en énergie» a été inauguré à Pont-Sainte-Marie, en périphérie de Troyes, dans l’est de la France, avec l’ambition d’inspirer un milieu encore énergivore et «prouver qu’un autre cinéma est possible».
Dans le hall aux murs pourpres, les yeux ronds des premiers visiteurs balayent l’espace. Ici, une cheminée crépite devant de confortables fauteuils fleuris. Là, une spectatrice assise dans l’espace «tisanerie» feuillette le programme, sous un lustre cristallin dégoté sur Leboncoin.
«Bienvenue chez Utopia Pont-Sainte-Marie», chantonne la directrice, Anne Faucon, en ce mercredi d’ouverture, avant Noël. «Pas de nourriture pendant le film, mais n’hésitez pas à venir plus tôt griller quelques châtaignes!»
Ce cinéma est le petit dernier du réseau Utopia, sept cinémas d’art et d’essai organisés en coopératives, avec un siège social à Toulouse et un cinéma historique à Avignon. L’«esprit Utopia», c’est «un modèle à taille humaine, convivial, qui évite d’éclairer et chauffer du vide, naturellement plus durable» que les multiplexes, explique Anne Faucon, la fille des fondateurs du réseau. «Mais cette fois, on a voulu aller beaucoup plus loin.»
Dans ce cinéma de 300 places et quatre salles – dont une réservée à l’éducation –, «seul le sous-sol est en béton», poursuit la directrice, pointant la «structure de bois», «l’isolation performante en paille compressée» et, par endroits, en laine de bois. Le chauffage vient d’un poêle biomasse à granulés et des dizaines de panneaux solaires sur le toit permettront «d’être autosuffisant en énergie», assure Anne Faucon. Le matériel de projection, quant à lui, est à basse consommation.
Passées les salles de projection «cosy» aux murs tendus de velours, une innovation attire les curieux : les toilettes sèches. Urinoirs masculins, féminins et toilettes «toutes commissions» sont signalées par des écriteaux. Au sous-sol, les matières solides sont compostées pendant «au moins deux ans», et les urines stockées pour servir d’engrais, détaille la professionnelle, saluant les «économies d’eau énormes». «Je suis la « dame pipi de l’art et essai ». Ce sera écrit sur ma tombe», plaisante-t-elle, soulagée «d’ouvrir enfin» après quatre ans de «parcours du combattant».
Si une petite salle comme nous y arrive, je dis : « Prenez, améliorez! »
En 2018, Anna Zajac, élue communiste de Troyes, contacte Utopia pour leur suggérer de s’installer dans l’Aube, département sous-doté en cinémas. «Toute l’agglomération n’avait qu’un cinéma CGR», explique l’élue. Mais la mairie ne soutient pas le projet. «Avec notre collectif de soutien, on a fait du bruit, dans la presse. Jusqu’à attirer l’attention du maire de Pont-Sainte-Marie», une commune limitrophe, se félicite-t-elle.
Séduit par un projet selon lui «exemplaire», le maire Pascal Landréat propose à Utopia «une friche militaire, au cœur d’un nouvel écoquartier», dans cette petite commune «déjà engagée dans une démarche écologique», pionnière notamment de la collecte des déchets à cheval
Ils signent un bail emphytéotique de 99 ans, pour 1 000 euros annuels. «On me disait sans arrêt : « Attention, écolo, c’est 30 % plus cher »», soupire Anne Faucon. Aidée d’un maître d’ouvrage, de «quelques fonctionnaires et petites mains engagées», elle redouble d’efforts, pour «prouver qu’un autre cinéma est possible».
Sur les 2,6 millions d’euros nécessaires, elle obtient 300 000 euros de fonds européens, 200 000 euros du conseil départemental, 100 000 euros du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) et 100 000 euros de financement participatif. Complétés par des fonds propres et «plus d’un million d’emprunts». L’équipe comptera à terme cinq salariés, dont trois sont déjà embauchés.
Sept euros la place, 50 euros l’abonnement de dix entrées : «C’est pas cher!», «on va vous soutenir», commentent plusieurs spectateurs ravis. «La programmation est géniale», estime Olivier Pillot, 34 ans, tickets en main pour le dernier James Gray, Armageddon Time.
Des films indépendants en version originale, «ça manquait cruellement ici». À son bras, Laura Millienne salue aussi la «dimension sociale». «À Noël, ils font une soirée pour les personnes seules», pointe-t-elle, espérant que «toute la société tende un jour vers ça».
Quant au fonctionnement durable de l’établissement, «c’est un prototype aux plans open-source» (mis librement à la disposition du grand public), souligne Anne Faucon. «Si une petite salle comme nous y arrive, je dis : « Prenez, améliorez! » Il faudra encore aller au-delà.»