La semaine prochaine sort le quatrième volet de John Wick, saga ultraléchée qui a réinventé l’esthétique du film de revanche et donné à Keanu Reeves, alors quinquagénaire, l’un des rôles les plus marquants de sa carrière. Analyse.
Le résumé, ridiculement petit, pourrait tenir en une seule phrase : c’est l’histoire d’un mec à qui l’on vole sa voiture et tue son petit chien, qui décide alors de se venger… En 2014, Derek Kolstad, à l’origine du scénario, n’aurait pas parié un kopeck sur son histoire, stéréotypée et archiconvenue, avec son héros repenti rattrapé soudainement par la violence. Il y avait là matière, peut-être, à faire un petit film d’action facile, sans prétention, mais sûrement pas une franchise ! Pourtant, neuf ans plus tard, alors qu’arrive sur les écrans le quatrième volet, John Wick, partout où il passe, étonne, dégomme et cartonne. Ainsi, Parabellum, dernière fantaisie en date, a généré plus de 328 millions de dollars de recettes dans le monde. Pas mal pour une idée de départ aussi mince.
Et ce n’est pas la seule (bonne) surprise : au centre de la saga, on redécouvre Keanu Reeves qui, avant d’incarner le tueur à gage sombre et mutique, avait quasiment disparu des radars d’Hollywood. Désormais âgé de 58 ans, l’acteur, cheveux longs et silhouette longiligne, était en visite cette semaine à Paris pour la promotion du film. Il considère que John Wick est l’un des deux rôles les plus marquants de sa carrière avec, bien sûr, le personnage de Neo, «l’élu» de Matrix, dont le premier opus a marqué la science-fiction au tournant du XXIe siècle. Il avait alors 35 ans et s’était fait remarquer, plus jeune, dans Point Break (avec Patrick Swayze), My Own Private Idaho (avec son complice River Phoenix, mort peu après), ou encore dans le film d’action Speed (avec Sandra Bullock).
De l’action «à l’ancienne»
«Dans ma jeunesse, Matrix a été une formidable expérience, de celles qui changent une vie. John Wick l’est aussi à un âge plus avancé, dans ma cinquantaine!», résume celui qui a tourné ce quatrième opus, comme les précédents d’ailleurs, avec Chad Stahelski, son cascadeur et ancienne doublure de Neo, devenu réalisateur. Ce dernier, qui dit s’être inspiré de Point Blank (1967) de John Boorman pour développer son personnage, est parvenu, au fil des péripéties de celui-ci, à casser les codes du film noir et de gangsters. Ou mieux, à les transcender. Comment? En imaginant les combats comme une grande chorégraphie sanglante, à l’image du cinéma asiatique branché arts martiaux.
Keanu Reeves, conquis par le genre (il a réalisé Man of Tai Chi il y a dix ans), confirme : «Un film d’action, c’est presque comme un ballet!», explique la star. Il poursuit : «C’est vrai, on utilise des technologies numériques, mais on préfère les choses en chair et en os, la célébration viscérale du mouvement des corps et de la violence». Après des années de triomphe de Marvel et des films de super-héros à cape, l’acteur croit en cette recette «à l’ancienne», plus sensitive, bien qu’elle réclame un plus grand investissement de sa part : «Ce que l’on fait n’est vraiment pas facile. J’ai besoin de m’entraîner des mois avant le tournage. Il faut des équipes entières pour les cascades et un réalisateur qui ait la vision nécessaire pour créer l’image, le design, la musique, les costumes…».
Quelque 306 victimes au compteur
Sur ce point, Keanu Reeves est rassuré. Il sait que Chad Stahelski a plein de bonnes idées, qu’il dévoile crescendo à mesure que les galères de son héros s’intensifient. Il y a déjà, donc, cette danse macabre (sur trois volets, John Wick, selon le décompte des fans, aurait fait 306 victimes), ultraléchée, qui mise sur la plasticité, la vitesse et l’énergie des mouvements. Un vrai régal pour les yeux, que l’on évoque les corps à corps façon ju-jitsu, les règlements de compte à l’arme blanche ou au pistolet (que peu utilisé pour tirer de loin), les courses poursuites (à bord d’une Ford Mustang Mach 1 de 1969) ou les autres «prouesses» de ce tueur mono-expressif, au costard noir impeccable, dont les aventures comptent plus de cadavres que de lignes de dialogue. La légende raconte ainsi qu’il aurait tué trois hommes dans un bar… avec un simple crayon!
Avec John Wick 2 (2017) puis sa suite, John Wick Parabellum (2019), le réalisateur américain pousse même plus loin les effets, donnant à son indestructible surhomme, qui s’agite dans un décor stylisé, des airs surréalistes. Aux références évidentes au cinéma hongkongais (pour la bagarre) et à John Woo (pour l’esthétique) s’ajoute dès lors celle des «comics» et des jeux vidéo, à l’instar de ce dernier volet qui se déroule dans des villes pluvieuses, à la grisaille illuminée de néons. Un sens de la démesure qui s’observe également dans les détails qui composent l’univers de John Wick, à l’instar de cet hôtel, le Continental, lieu de convergence de tous les assassins, mais dans lequel aucun meurtre ne peut avoir lieu, avec à l’accueil son «concierge» à tout faire et au sous-sol ses standardistes tatouées façon «riot girls», qui enregistrent et valident les contrats comme des paris aux courses.
Une série et un spin-off au féminin
Parmi les autres principes établis par la saga, il y aussi ce marqueur, médaillon frappé d’un serment de sang, ou ce monde souterrain, un réseau efficace composé de SDF avec à sa tête l’acteur Laurence Fishburne, le Morpheus… dans Matrix! Sans respiration et dans un claquement de doigts, John Wick, à l’instar de James Bond, Jason Bourne ou Ethan Hunt (Mission Impossible), saute d’ennemi en ennemi (la mafia russe, la Camorra, d’autres tueurs à gages comme lui, dont Willem Dafoe) et de ville en ville (New York, Rome, Casablanca). Pour John Wick : Chapter 4, le «Baba Yaga» (sorte de «croque-mitaine» dans les contes russes) préféré des grands enfants s’en va même à Osaka, à Berlin ou encore à Paris, où Keanu Reeves avait fréquenté les plateaux, il y a 35 ans, pour Dangerous Liaisons.
Désormais chasseur et non plus cible, son personnage, sur près de trois heures, ne s’économise une nouvelle fois pas : défenestration, combat au nunchaku, chutes dans d’innombrables escaliers… L’acteur, connu pour jouer lui-même une partie des scènes d’action, imagine-t-il atteindre prochainement l’âge où il ne pourra plus tourner ce genre de films? «Je m’en approche!», plaisante-t-il avant d’ajouter : «Est-ce qu’on atteint une limite ? Je n’en sais rien». John Wick, lui, n’en a pas et poursuit son entreprise de destruction massive, cathartique et jouissive. Au même titre que le nombre de ses victimes, son univers s’enrichit aussi : on évoque ainsi une prochaine série (The Continental) et un spin-off au féminin (Ballerina, avec Ana de Armas dans le rôle titre). Comme le répètent régulièrement ses rivaux : «Tout ça pour un chiot…».
Un film d’action, c’est presque comme un ballet!