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Le phénomène « Hunger Games »


D’abord série romanesque avant de cartonner sur grand écran, Hunger Games est devenu un phénomène culturel qui dépasse les frontières de la littérature adolescente et du cinéma.

Elle court, esquive et se cache, dégaine son arc pour se défendre, cherche des alliés, tombe amoureuse aussi. Mais Katniss Everdeen n’est pas naïve non plus. Elle sait que les véritables ennemis ne sont pas ceux qu’elle affronte dans une arène où tous les coups sont permis. Ils sont à la pointe de la pyramide, plus haut, mais elle en est certaine : un jour ou l’autre, une flèche leur sera destinée… À la fin des années 2000, les lecteurs découvraient l’héroïne née sous la plume d’une écrivaine discrète, Suzanne Collins, bien qu’officiant déjà dans le genre «fantasy». Ils allaient alors vite se prendre de passion pour cette histoire qui mêle quête identitaire et rébellion, le tout sur fond de critique du populisme.

Quatre livres et cinq films plus tard (dont le dernier vient d’arriver en salles), Hunger Games n’a plus besoin de convaincre. Sa place parmi les phénomènes de la culture populaire est assurée. C’est en 2008 qu’arrive aux États-Unis le tout premier roman (chez Scholastic) qui imagine un jeu de téléréalité organisé par le pouvoir d’un État totalitaire, dans une Amérique dystopique : les Hunger Games (littéralement les «jeux de la faim») qui obligent de jeunes citoyens venus de différents districts à s’entretuer. Certes, l’idée n’est pas nouvelle, comme en témoignent des œuvres de Stephen King (The Long Walk, The Running Man) ou celle de Kōshun Takami (Battle Royale), sûrement la plus parlante d’entre toutes.

Thésée et le Minotaure

Mais c’est sur un autre terrain, moins violent et bien plus nuancé, que la saga va se faire une renommée : celui des «young adult». Derrière le concept purement commercial, il s’agit d’inviter les jeunes à se tourner vers la lecture, tout en attirant, dans un rebond (ou un bouche-à-oreille familial) les parents vers les livres de leurs enfants. La méthode? Un récit accessible, mais pas bête non plus, avec une narration solide, des questionnements sérieux et des personnages crédibles. Jusque-là, deux d’entre eux dominaient la mêlée : Harry Potter (1998-2007) et Twilight (2008-2012). Le premier a lancé la mode, le second l’a appuyée.

Hunger Games va porter le coup de grâce en y ajoutant ce qu’il faut de dystopie, jusque-là cantonnée au rayon «science-fiction» des libraires et aux adultes. Fini la magie et les vampires : placé dans une réalité pas si fantasmée et lointaine que ça, l’univers devient alors plus vraisemblable, plus tangible. La recette de Suzanne Collins n’a pourtant rien de miraculeux : elle puise dans ce qu’il y a de beau et de cruel chez l’Homme : les mythologies (ici celle de Thésée et du Minotaure, dans laquelle de jeunes garçons et filles sont envoyés, tous les neuf ans, dans un labyrinthe mortel afin de combattre le monstre); et la fameuse formule «du pain et des jeux», datant de l’Antiquité, avec ces combats à mort censés occuper et divertir la populace (du coup moins préoccupée par sa propre condition).

Mouvements pro-démocratiques

Avec Hunger Games, «on retourne aux Grecs et aux Romains, au Colisée, à l’idée des cirques, au fait d’aller dans des arènes pour contempler la violence», confirme ainsi Francis Lawrence, réalisateur du dernier film (The Ballad of Songbirds and Snakes, sorti mercredi) et des trois précédents. «Il y a juste quelque chose d’horrible dans l’humanité de vouloir être excité et amusé par cela. C’est intrigant», poursuit-il. Toutefois, à l’image, comme à l’accoutumée, pas «de gore, ni de sang». Déjà pour rester dans le ton «tout public». Ensuite pour ouvrir des pistes de réflexion : «J’ai toujours essayé de me concentrer sur l’impact émotionnel» de ce genre de problématique, concède le cinéaste. Car derrière les morts qui s’entassent, la saga mêle plusieurs aspirations.

Il y a quelque chose d’horrible dans l’humanité de vouloir être excité et amusé par la violence. C’est intrigant

Déjà, elle s’attache, comme d’autres dystopies, à détailler le fonctionnement des dictatures et de la société du spectacle (à travers son outil préféré : la télévision). Dans ses adaptations, Francis Lawrence confie ainsi s’être inspiré du Berlin des années 1940 pour ses décors d’architecture urbaine (le gouvernement de Palem serait alors, pour lui, un prolongement du régime nazi). Et quand la réalité dépasse la fiction, c’est dans la rue et face à la police que l’on retrouve Hunger Games : le salut à trois doigts, tiré des films, est en effet devenu un signe de ralliement et un symbole de résistance des mouvements démocratiques d’Asie du Sud-Est, de la Birmanie à la Thaïlande en passant par Hong Kong.

Y aura-t-il une suite ?

Avec comme trame de fond la montée des dictatures (malheureusement d’actualité) et ses armes de distraction massive, Suzanne Collins apporte ce qu’il faut de légèreté et de bons sentiments, avec des personnages taillés sur mesure : le pacifiste Peeta, le bon Gale, le courageux Haymitch, le styliste-psychologue Cinna et tant d’autres, unis dans le camp de ceux qui veulent renverser le système. Au milieu de l’affrontement (bien marqué) entre le Bien et le Mal, de l’amitié, de la romance et une bonne dose de justice. Reste Katniss, figure féminine aux compétences physiques et instinctives que l’on attribuait plutôt à des héros masculins. Dotée, en plus, d’une profonde bienveillance et d’une solide psychologie, elle est alors un modèle pour de nombreuses jeunes filles en pleine construction.

Quatre livres et cinq films

C’est aussi pour cette raison que, pour son incarnation sur grand écran, Jennifer Lawrence est vite devenue une star (et l’actrice la mieux payée au monde en 2015 et 2016). Mais ce sera sans elle pour le dernier chapitre, car The Ballad of Songbirds and Snakes se passe 64 ans avant la trilogie, à un moment où Panem «cherche à se relever» d’une guerre dévastatrice, expliquait l’auteure lors de la sortie du livre en 2020. «Je voulais explorer l’état de nature, qui nous sommes vraiment», ajoute-t-elle. Si le succès du livre est au rendez-vous (il a été le plus vendu, toutes catégories confondues, au cours du premier semestre 2020 et en tête des best-sellers), le film va tenter de faire de même, comptant sur les visages familiers de Viola Davis (oscarisée pour Fences) et Peter Dinklage (Game of Thrones) pour combler l’absence d’autres (Julianne Moore, Woody Harrelson, Donald Sutherland…).

Après cette nouvelle mouture, une incertitude persistera : y aura-t-il une suite ? Une question assez légitime, surtout après un préquel qui, c’est connu, ouvre la voie à des possibilités tentaculaires (et quasi autant d’épuisements artistiques). On serait tentés de répondre que cela dépendra de Suzanne Collins. Car il arrive à Hollywood, toujours pris par le temps et le besoin de faire résonner le tiroir-caisse, de prendre les devants et de ne pas attendre un éventuel prochain roman. Ça ne serait pas une première. Une autre dérive de la société du spectacle.

Hunger Games, c’est une trilogie romanesque, suivi d’un préquel, tous sortis aux États-Unis chez Scholastic (Pocket Jeunesse en France). Cinq films à gros budget feront suite aux différents livres.

En chiffres

100 La trilogie romanesque, lancée il y a quinze ans, s’est vendue à près de 100 millions d’exemplaires dans le monde. Elle a été traduite en 54 langues.

3 Entre 2012 et 2015, la saga cinématographique Hunger Games a cumulé des recettes à travers le monde de près de 3 milliards de dollars.

50 Selon le Hollywood Reporter, Jennifer Lawrence aurait touché plus de 50 millions de dollars pour jouer dans les quatre films. Pour le premier de la saga, son salaire était de… 500 000 dollars. En 2015 et 2016, selon le magazine Forbes, elle était ainsi l’actrice la mieux payée au monde.