Le Passager, de Cormac McCarthy. Éditions de l’Olivier.
Ambiance et décor : «Le concerto pour violon n° 2 de Mozart résonnait dans le magnéto. Il faisait six degrés et il était trois heures dix-sept du matin. L’assistant en appui sur les coudes et casque sur les oreilles observait l’eau noire en dessous d’eux. De temps en temps, la mer s’embrasait d’une lueur de soufre à quinze mètres de profondeur…».
Odeur de pétrole et relents capiteux de la mangrove et des prés salés apportés des îles par la marée. L’homme regarde l’assistant, souffle sur son thé, le boit…
Mots relevés dans les premières pages du nouveau roman de l’écrivain américain Cormac McCarthy, 89 ans. Livre au titre tout simple : Le Passager. Nombreux étaient ceux qui s’interrogeaient : l’auteur n’avait rien publié depuis 2008 et son roman culte La Route, adapté au cinéma en 2009 par John Hillcoat, avec Viggo Mortensen et Charlize Theron.
Mais revoilà donc McCarthy, l’auteur définitif de Méridien de sang (1988), De si jolis chevaux (1993) ou Non, ce pays n’est pas pour le vieil homme (2007), l’auteur que, trop facilement, certains classent dans le genre «southern gothic» ou postapocalyptique.
Des loulous et marlous, des dingues et paumés
L’homme qui boit le thé s’appelle Bobby Western. Il est le personnage principal imaginé par McCarthy. Il avait une sœur, Alicia, follement belle et exceptionnellement intelligente. Elle s’est suicidée il y a dix ans. Dans le roman, Bobby a changé de vie, est devenue plongeur professionnel.
Ainsi, on le retrouve dans le golfe du Mexique. Sa mission : inspecter, à 15 mètres de profondeur, l’épave d’un jet privé qui s’est planté avec ses huit passagers. Le plongeur s’y glisse, les victimes sont encore assises sur leur siège. Problème : il en manque une. Disparue.
Quelques jours plus tard, l’appartement de Bobby Western est «visité» et Oiler, un de ses coéquipiers, est retrouvé mort dans sa cloche de plongée. Pour Bobby, aucun doute : il y a un lien entre les «visiteurs» de son appartement et les tueurs. On aurait pu en rester, tricoter un polar des familles et l’affaire était jouée.
Sauf qu’on a retrouvé Cormac McCarthy, quasi nonagénaire, en forme littéraire olympique! Et l’auteur d’embarquer son héros dans une fuite avec son chat Billy Ray. En route, il va rencontrer de sacrés personnages, des loulous et marlous, des dingues et paumés, tous en perte de repères et souffrant d’un déracinement incurable.
De la paranoïa à tous les étages
La route, l’errance… Une vie connue de Bobby. Flash-back : jeune homme, il était un génie des mathématiques promis à une carrière universitaire. Il a opté pour l’exil en Europe. Il avait compris qu’il ne serait jamais aussi brillant que sa sœur, son seul amour, cette jeune fille «d’une beauté… à provoquer des accidents».
L’Europe, pour Bobby, c’était aussi un moyen prendre ses distances avec leur père, brillant physicien proche de Robert Oppenheimer (le «père de la bombe atomique»).
Avec Cormac McCarthy et Le Passager, c’est une invitation à un grand voyage, du golfe du Mexique à Ibiza. C’est la fuite en avant ponctuée par les hallucinations en italique d’Alicia et des agitateurs pernicieux dont le chef finit par apparaître. Il y a de la paranoïa à tous les étages chez McCarthy, de la mélancolie et de la métaphysique aussi.
Et pour éviter le manque, l’éditeur français annonce déjà un plaisir à venir : Stella Maris, le second volet de ce diptyque, sera disponible en version française le 5 mai. Un préquel qui fait la lumière sur le personnage mystérieux qu’est Alicia Western. On a hâte!