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Le Nobel de littérature à Svetlana Alexievitch


À cause de sa dénonciation du régime autoritaire du président bélarusse Alexandre Loukachenko, Svetlana Alexievitch s'est périodiquement exilée, vivant ainsi en Italie, en France, en Allemagne et en Suède, relève l'Académie.

La Bélarusse Svetlana Alexievitch, voix dissidente dans l’un des derniers régimes autoritaires d’Europe, a remporté jeudi le prix Nobel de littérature. Succédant à Patrick Modiano, cette journaliste et écrivain a été récompensée pour son « œuvre polyphonique, mémorial de la souffrance et du courage à notre époque », a expliqué l’Académie suédoise.

Svetlana Alexievitch, 67 ans, née Soviétique sous Staline, est la quatorzième femme à remporter le prestigieux Nobel depuis sa création en 1901. À cause de sa dénonciation du régime autoritaire du président bélarusse Alexandre Loukachenko, elle s’est périodiquement exilée, vivant ainsi en Italie, en France, en Allemagne et en Suède, relève l’Académie.

Avec le prix, le régime de Minsk « va être obligé de m’écouter. Il y a tellement de personnes fatiguées qui n’ont plus la force de croire. (Le prix) peut signifier quelque chose pour eux », a affirmé la lauréate au quotidien Svenska Dagbladet. En 2011, elle dénonçait dans un entretien au PEN Club de Suède la « machinerie staliniste » dans son pays, dont l’homme fort depuis plus de vingt ans devrait sans surprise être réélu pour un cinquième mandat lors de l’élection présidentielle de dimanche.

« C’est énorme de recevoir ce prix », a reconnu la lauréate interrogée par téléphone par la télévision publique suédoise SVT, fière d’être couronnée par le même comité Nobel qui avait récompensé en 1958 Boris Pasternak. « C’est une récompense non seulement pour moi, mais aussi pour notre culture, pour notre petit pays qui a toujours vécu comme entre des pressoirs », a-t-elle déclaré lors d’une conférence de presse. « C’est difficile d’être une personne honnête, mais il ne faut pas faire de concession devant un pouvoir totalitaire », a-t-elle souligné.

Boycottée par le régime bélarusse

En pleine guerre froide, l’auteur du « Docteur Jivago » avait d’abord accepté le prix avant d’être contraint par les autorités de son pays de le décliner. Donnée favorite depuis plusieurs années, Mme Alexievitch est l’auteur de livres poignants sur la catastrophe de Tchernobyl ou l’invasion soviétique en Afghanistan, interdits dans son pays qui ne lui pardonne pas le portrait d’un « homo sovieticus » incapable d’être libre. Beaucoup de ses compatriotes la lisent, même si le régime empêche ses apparitions en public à Minsk où elle vit une partie de l’année.

« Les 30 ou 40 dernières années, elle a passé son temps à cartographier l’individu soviétique et post-soviétique. Mais ce n’est pas vraiment une histoire des événements. C’est une histoire d’émotions », a expliqué à la Fondation Nobel la secrétaire perpétuelle de l’Académie Sara Danius. « Elle a mis au point un antidote au totalitarisme, une nouvelle méthode littéraire, controversée, qui consiste à faire parler ceux qui n’ont pas voix au chapitre », explique à l’AFP Ola Larsmo, président du PEN Club de Suède qui soutient activement les écrivains bélarusses au travers d’échanges et de résidences. Svetlana Alexievitch n’a pas été privée de liberté, rappelle-t-il, mais a vécu plusieurs fois en exil avant de retourner dans son pays.

Romans documentaires

L’annonce de sa récompense a été largement applaudie par le public présent à l’Académie suédoise, qui connaissait son nom car elle était favorite.

Née le 31 mai 1948 dans l’ouest de l’Ukraine dans une famille d’instituteurs de campagne, diplômée de la faculté de journalisme de l’Université de Minsk, elle commence à enregistrer sur son magnétophone les récits de femmes qui ont combattu durant la Seconde Guerre mondiale. Elle en tire son premier roman, en russe comme les suivants, « La Guerre n’a pas un visage de femme ».

Depuis, Svetlana Alexievitch utilise toujours la même méthode pour écrire ses romans documentaires, interrogeant pendant des années des gens qui ont vécu une expérience bouleversante.

« Cercueils de zinc », un ouvrage mémorial sur la guerre d’Afghanistan (1979-1989), publié en 1990, la rend célèbre. Son oeuvre, dont « La Supplication, Tchernobyl, chroniques du monde après l’Apocalypse » (1997), est traduite en plusieurs langues et publiée à travers le monde. Des spectacles d’après ses livres ont été mis en scène en France et en Allemagne, où elle a reçu en 2013 le prestigieux Prix de la paix à la foire du livre de Francfort. Son dernier roman « La Fin de l’homme rouge ou Le temps du désenchantement », sur l’histoire et la tragédie de « l’homo sovieticus », avait reçu le Prix Médicis essai en 2013.

Première Bélarusse a être primée par le Nobel de littérature, elle emporte la récompense de huit millions de couronnes (environ 860 000 euros). Cette année, le Nobel a couronné la lutte contre les maladies parasitaires en médecine, les recherches sur les neutrinos en physique et des travaux sur l’ADN en chimie. Doivent encore être annoncés les prix de la paix vendredi et d’économie lundi.

Le Quotidien