Coproduit au Luxembourg, le nouveau film d’Ari Folman, Where Is Anne Frank, embarque Kitty, amie imaginaire de la jeune fille, à la recherche de l’auteure du Journal, de nos jours, où la haine est toujours présente.
Voilà plus de huit ans que l’on n’avait plus de nouvelles d’Ari Folman… Sur le grand écran, en tout cas, depuis The Congress (2013), fable futuriste et amoureuse du cinéma, mélangeant prises de vue réelles et animation. Huit années que le réalisateur israélien a utilisées, sans perdre de temps, pour écrire et réaliser Where Is Anne Frank, son nouveau long métrage, en salles aujourd’hui. Plus qu’une adaptation du célèbre Journal, le film d’animation lie le passé et le présent en donnant vie à l’amie imaginaire d’Anne Frank, à qui la jeune fille s’adresse dans son journal intime. «C’est elle (…) qui est la protagoniste du film», explique Ari Folman dans un entretien publié dans le dossier de presse du film.
Dans sa superbe séquence d’ouverture, premier moment de grâce : alors qu’un violent orage s’abat de nos jours sur Amsterdam, à l’intérieur de la maison d’Anne Frank devenue un musée, Kitty se matérialise. Les mots et l’encre sortent du journal pour donner vie à la jeune fille rousse. Près de 80 ans après la mort d’Anne Frank dans le camp de concentration allemand de Bergen-Belsen, Kitty s’étonne de voir défiler les touristes dans la maison. Armée de l’exemplaire original du journal, elle va tenter de découvrir ce qui lui est arrivé, mais dans l’Amsterdam d’aujourd’hui, elle rencontrera aussi des réfugiés menacés d’expulsion…
De la Shoah aux réfugiés
On peut voir le film comme la seconde partie d’un diptyque, après l’adaptation sous forme de roman graphique du Journal d’Anne Frank, écrite par Ari Folman et dessinée par David Polonsky pendant l’écriture du film, et publiée en 2017. Pour Ari Folman, Where Is Anne Frank «retrace le parcours complet d’Anne que celle-ci n’a pu écrire en entier», son journal intime s’arrêtant à la date du 1er août 1944, trois jours avant son arrestation, «et que Kitty a achevé à sa place». Et en plongeant – littéralement – dans les mots, on retourne dans le passé, dans les pages mêmes du livre que le réalisateur met en images, mais aussi dans l’horreur des camps – sur lesquels Anne Frank n’a jamais écrit –, avec des nazis représentés tels des démons noirs au masque blanc. Une esthétique proche du film d’horreur et «inspirée des Enfers de la mythologie grecque», précise Ari Folman, dont Anne Frank était passionnée.
Qu’il s’agisse d’animation ou de prises de vue réelles, aucune forme cinématographique ne peut restituer avec justesse (la Shoah)
Les propres parents du réalisateur, survivants de l’Holocauste, ont été déportés à Auschwitz la même semaine qu’Anne Frank et sa famille. Mais «qu’il s’agisse d’animation ou de prises de vue réelles, dit-il, aucune forme cinématographique ne peut restituer avec justesse» la Shoah. Ainsi, son film parle aussi de notre époque, avec cette idée brillante : confronter Kitty au nom d’Anne Frank, qui n’est pas seulement devenu, à Amsterdam, celui d’un musée, mais aussi d’une école, d’un pont ou encore d’un hôpital, et laisser la jeune fille découvrir que le monde après Anne n’a pas pris la direction de son esprit humaniste, mais plutôt de la haine dont elle a été victime. Anne Frank est partout, mais il faut la chercher… En s’engageant en faveur des migrants, et en faisant la rencontre d’Ava, une jeune réfugiée malienne à qui elle transmettra le Journal, Kitty réalise un devoir de mémoire rêvé, presque utopique. Pour Jani Thiltges, producteur du film, Kitty «est la jeune fille la plus drôle, la plus intelligente et la plus futée qu’on puisse imaginer». Elle «soulève des questions parfaitement cohérentes» et «défend les idéaux qu’elle estime juste et pour lesquels Anne se serait battue, elle aussi».
En version luxembourgeoise
Pour Ari Folman, le Luxembourg était déjà entré dans l’équation avec The Congress, dont une partie de l’animation avait été réalisée au Grand-Duché et le film coproduit par Paul Thiltges. Avec Where Is Anne Frank, le cinéaste s’est tourné cette fois vers Samsa Film. Un choix étonnant, tant de la part du réalisateur que du producteur, car en dépit de ses plus de 35 ans d’existence, et 80 films au compteur, la société de production n’avait jamais travaillé dans l’animation. Mais, fidèle à la confiance qu’il place dans le réalisateur et à la vision artistique de ce dernier, et avec «le sentiment que l’animation était la forme la mieux adaptée pour que l’héritage d’Anne Frank soit accessible aux générations d’aujourd’hui», Jani Thiltges s’est lancé dans l’aventure du «tout premier film sur la Shoah destiné aux enfants».
Mieux encore : la sortie du film, aujourd’hui, dans les salles du pays, se fait… en version luxembourgeoise, accompagnée du titre de rigueur, Wou ass d’Anne Frank. La version originale (en anglais) devrait suivre, mais l’existence d’un doublage en luxembourgeois est aussi l’heureuse conséquence d’un film aux nombreuses nationalités, produit dans cinq pays. «J’ai produit beaucoup de films, mais je n’aurais pu produire celui-ci seul. C’est mon premier – et sans doute mon dernier – film d’animation», glisse le producteur. Mais en fin de compte, le plus important reste toujours le résultat : «Quand j’ai découvert le film finalisé (…) j’étais fier et ému parce qu’il s’agit d’un film important et qu’il fallait le faire aujourd’hui, étant donné tous les problèmes liés au racisme, à l’immigration et aux différentes formes de violence que nous rencontrons à l’heure actuelle (…) C’est ce dont je suis le plus fier», conclut Jani Thiltges.