Le musée national d’Histoire et d’Art (MNHA) inaugurera demain sa nouvelle exposition. «Figure in Print» dresse un état des lieux de la pratique de la gravure au Luxembourg depuis 1945, vue sous l’angle de la représentation humaine.
C’est un large panorama, quasi exhaustif, de l’art de la gravure au Luxembourg depuis 1945 que proposent le MNHA et la BnL dans leur exposition en commun «Figure in Print». Celle-ci ouvrira ses portes au public dès vendredi au musée national d’Histoire et d’Art avec une centaine d’œuvres, avant d’investir aussi la Bibliothèque nationale dès la semaine prochaine et avec 70 œuvres supplémentaires.
« C’est un projet qui mijote depuis cinq ans », raconte Diane Jodes, artiste et cofondatrice de l’atelier Empreinte, qui a activement collaboré à la réalisation de l’exposition. Raconter l’art de la gravure en tenant compte de tous les mouvements et artistes qui ont participé à son développement au Luxembourg, « c’est un sujet très vaste », reconnaît Malgorzata Nowara, l’une des trois commissaires de l’exposition, « qui devait être réduit à une thématique », celui de la figure humaine, et à une période, de 1945 à nos jours.
La représentation physique, intime, permet de mieux découvrir l’art de la gravure et ses techniques
Au fil des salles et des trois thèmes qui composent l’exposition du MNHA, on découvre l’intérêt des artistes du Grand-Duché pour le portrait, le nu et l’abstrait; les œuvres exposées à la BnL complèteront le panorama avec deux autres thèmes, le corps en mouvement et la place de l’homme dans la société. « La représentation physique, intime, permet de mieux découvrir l’art de la gravure et ses techniques », assure Stefanie Zutter, co-commissaire de l’exposition pour la BnL. De Foni Tissen à Anneke Walch, de Joseph Probst à Pit Wagner, on découvre un pan rare de l’art luxembourgeois, auquel ont aussi participé des artistes comme Michel Majerus ou Jean-Marie Biwer. « Il ne faut pas non plus oublier que plus de la moitié des œuvres sont réalisées par des artistes vivants », souligne pour sa part le directeur de la BnL, Claude D. Conter.
Depuis la superbe représentation lithographique de la lutte grecque réalisée par l’artiste et sportif Jean Jacoby (1891-1936), le corps et l’humain ont été, selon les époques et les techniques, reconsidérés, réinterprétés, transfigurés. À partir d’un visage d’homme, Anneke Walch élabore un jeu sur le regard dans On Perception (2017), en collant des appliques à différents endroits du visage, pour attirer – ou détourner – le regard sur différents détails du visage et rendre l’œuvre plus ou moins facile à regarder, quand les yeux sont cachés, par exemple. Robert Hall, lui, réalise un différent type de portrait avec la mystérieuse xylographie Gueule cassée, imprimée sur une illustration ancienne, qui se remarque par une superposition des techniques, tandis que Marc Frising réalise un hommage à un maître du portrait et de la gravure, Rembrandt, en reproduisant sa Coquille en grand format, sur huit plaques, utilisant pour chacune d’entre elles une technique différente de gravure.
Portrait de la mère de l’artiste signé Pit Wagner, Mamm (2009) est une vision saisissante, qui témoigne du goût de l’expérimentation de l’artiste. Le portrait ressemble, de loin, à une photo surexposée ou passée; de près, on découvre que les yeux, le nez et la bouche sont faits de simples points ou traits, donnant au visage de la mère une impression fantomatique, contenue par les transferts de papier peint orange, vieilli, et les différents tons de noir qui entourent le portrait. La famille est aussi le sujet de The Ancestors de Diane Jodes (2017), où l’artiste pratique la gravure à partir d’une ancienne photographie de famille, y injectant un sentiment de nostalgie opposé à la modernité du motif rouge qui se superpose à la photo.
Au fur et à mesure du XXe siècle, le nu devient de plus en plus grand, jusqu’à être monumental
On connaît l’estampe japonaise et ses représentations de scènes érotiques; on connaît beaucoup moins le nu luxembourgeois dans la gravure. Au XIXe siècle, le nu était l’apanage du petit format, à l’image de ceux réalisés par l’artiste originaire de Colmar-Berg Franz Helderstein (1820-1907). « Au fur et à mesure du XXe siècle , indique Malgorzata Nowara, il devient de plus en plus grand, jusqu’à être monumental. » Le point d’orgue de la salle qui expose les nus des artistes luxembourgeois sont les Blueprints d’Anneke Walch (2016), xylographies réalisées sur papier calque. Deux nus, une femme et un homme, à taille humaine, aux airs d’esquisses, et des études du corps humain, à la différence que celles-ci sont entourées de texte résumant des idées reçues sur les deux sexes. « C’est un projet que j’ai réalisé pour Amnesty International , explique l’artiste. Le texte reprend des idées, des projections que l’on se fait sur l’autre. » De même, l’idée du «blueprint» (un plan, en anglais) rejoint l’idée d’une société en construction, qui doit surpasser les idées reçues pour ne plus être un plan sur papier, mais pour s’affirmer.
Depuis les années 1970, l’abstrait occupe une place de choix dans l’art de la gravure au Luxembourg. C’est là que se distingue notamment Bo Halbirk, artiste danois à l’origine du studio Empreinte. Le MNHA propose de découvrir la considération de l’abstrait dans la gravure avec des œuvres qui laissent difficilement le spectateur indifférent, même dans ses représentations les plus simples, comme le portrait de Niki de Saint-Phalle par Joseph Probst (1984). La géante sérigraphie sur coton de Michel Majerus, qui représente une énorme balle sur laquelle est écrit le mot «Motivation» (celle de l’artiste, bien sûr), trouve un étrange écho dans l’œuvre qui la jouxte, autrement plus amusante : un triptyque de sérigraphies sur toile cirée, qui représentent trois tables de deux personnes vues du dessus. La première est soignée, agréable; la deuxième, plus désordonnée; la troisième, elle, est surmontée d’une nappe à carreaux vieillotte, et la table, désormais presque vide, a l’air sale. C’est Love Story de Flora Mar (1999-2000), ou une exquise critique du mariage.
Dans sa dernière salle, l’exposition présente les techniques de la gravure; au vu de la complexité de l’art et de la richesse et de la spécificité de chacune des techniques utilisées, on aurait préféré passer par là plus tôt dans la visite. Cette ultime étape n’en reste pas moins essentielle et enrichissante, agrémentée d’exemples et d’outils appartenant aux artistes exposés. Le voile est enfin levé sur un art splendide resté secret au Luxembourg. La suite, elle, sera à découvrir dans quelques jours à la BnL.
Valentin Maniglia
«Figure in Print» Jusqu’au 17 juin au MNHA. Du 28 janvier au 18 avril à la BnL.