Le maréchal Philippe Pétain, qui est mort sénile, était-il atteint d’Alzheimer dès 1940 ? C’est la thèse d’un gériatre français, qui se défend toutefois de vouloir minorer sa responsabilité dans la collaboration du régime de Vichy avec les nazis.
Le vieux maréchal souffrait « d’une maladie d’Alzheimer au stade de syndrome neurocognitif mineur déjà bien évolué en juin 1940 et au stade de syndrome neurocognitif majeur dès 1942 », estime le Pr Jean-Marie Sérot. Il vient de développer cette thèse dans la Revue de Gériatrie, publication de la Société française de gériatrie.
Pétain a pris la tête du régime de Vichy en juillet 1940, à 84 ans, après avoir bénéficié du vote des pleins pouvoirs par les parlementaires. Après la Libération, il a été jugé coupable d’ « indignité nationale » au terme de son procès à l’été 1945. Si la sénilité de l’icône de Verdun à la fin de sa vie est un fait admis, le Pr. Sérot la croit bien antérieure. « Pétain est mort (en 1951 à 95 ans, NDLR) avec un tableau d’Alzheimer typique. Or, on sait que la maladie s’installe longtemps à l’avance et évolue pendant de très longues années », explique-t-il.
Pour parvenir à cette conclusion, ce gériatre retraité a compulsé de nombreux livres d’historiens. « J’ai rassemblé des anecdotes suspectes et je suis à peu près sûr de ce que je dis », assure-t-il, même si un diagnostic ne peut être établi avec certitude sans examen clinique ni autopsie. Ces anecdotes mêlent troubles de la mémoire, problèmes d’attention, erreurs de jugement, apathie, qui s’aggravent entre 1940 et 1945.
Hypothèse jugée plausible
Le Pr Sérot cite par exemple Albert Chichery, ministre de l’Agriculture jusqu’à juillet 1940, qui écrit : « Le maréchal est bien 3-4 heures par jour (…) mais quand il est fatigué, surtout le soir, on peut lui faire signer ce que l’on veut sans qu’il s’en rende compte ». A cette époque, les syndromes de démence, dont Alzheimer, « sont totalement méconnus du grand public et même du corps médical qui parle de sénilité », selon le Pr Sérot.
L’historien Laurent Joly juge l’hypothèse plausible, malgré « quelques petites erreurs de détail ». « Cela conforterait plutôt le portrait que j’esquisse de Pétain dans mon dernier livre », indique-t-il après avoir publié en septembre L’État contre les juifs : Vichy, les nazis et la persécution antisémite (Grasset). « Pour moi, le vieux maréchal est à l’arrière-plan, c’est Darlan (chef du gouvernement en 1941-42, NDLR) puis Laval (chef du gouvernement à partir de 1942) et Bousquet (préfet puis secrétaire général à la police française) qui mènent le jeu; lui cautionne le pire sans vraiment imaginer les conséquences », ajoute-t-il.
Dans son livre, Laurent Joly relate : « Dès mars-avril 1941, les bases de la politique de l’été 1942 – la livraison aux autorités allemandes des juifs apatrides par la police de Vichy – sont ainsi posées. Avec, comme en 1942, l’aval du vieux maréchal, qui donne son entière approbation à la création du commissariat général aux questions juives sur fond de préjugés antisémites et d’inconséquence mêlée de sénilité ».
Ses responsabilités pas remises en question
L’historien américain Robert Paxton, lui, n’est pas convaincu par la chronologie du Pr Sérot. « Presque tous les témoignages sont des souvenirs écrits bien après les événements racontés, presque toujours après la fin de la guerre », fait-il valoir. « Un historien averti préfère des sources contemporaines, qui ne sont pas déformées par la connaissance des événements ultérieurs », poursuit-il. En lisant des archives américaines de 1941-42 et allemandes de 1943, « on constate que Pétain était clairement un vieillard un peu ralenti, mais il n’était pas vraiment sénile », selon Robert Paxton.
« Par contre, quand une délégation de parlementaires vient lui parler à l’Ile d’Yeu (où il était détenu) vers 1947, il était clairement sénile », indique l’auteur du célèbre ouvrage La France de Vichy (1972).
La thèse du Pr Sérot soulève une question sensible : Pétain était-il responsable ? Un terrain sur lequel le gériatre ne veut pas s’aventurer. « Je ne suis pas historien, je suis médecin, et je dis simplement qu’il était malade », souligne-t-il, en jugeant toutefois que cela a pu « changer le cours de l’Histoire de France ». Si cette thèse était confirmée, elle aurait « forcément » des répercussions sur ce qu’on sait des responsabilités de Pétain, analyse Laurent Joly. Mais « faute de preuve absolue, elle ne change pas fondamentalement ce que les spécialistes pouvaient subodorer, à savoir une forme de sénilité », conclut l’historien.
LQ/AFP