Pour la neuvième édition du Private Art Kirchberg, dimanche 25 septembre, sept grandes entreprises et institutions du plateau ouvriront leurs portes et leurs collections d’art au public.
Le plateau du Kirchberg se transformera, dimanche, en une galerie d’art éphémère : c’est le retour de Private Art Kirchberg (PAK), neuvième du nom, après un hiatus de quatre ans, l’édition 2020 n’ayant pu se tenir pour cause de pandémie. Pour l’imposant événement bisannuel, ramassé sur une journée, des institutions du quartier des affaires de la capitale ouvriront leurs portes au public, à la découverte de leurs collections d’art privées.
Une initiative née en 2006 sous l’impulsion de Clearstream, ralliant à sa cause les principales entreprises du Kirchberg qui investissent aussi dans l’art, avec un «triple objectif commun», explique Delphine Munro, à la tête du département Arts & Culture de la Banque européenne d’investissement (BEI) : «dévoiler les collections d’art au public qui, habituellement, n’y a pas accès», «partager notre intérêt pour l’art et notre philosophie» et «montrer au public les entreprises et leur méthode de collection».
Sept entreprises à l’«ancrage local» et aux «velléités internationales», mais surtout, précise Delphine Munro, aux «politiques artistiques très actives», participeront à cette édition 2022 : Clearstream, la BEI, UBS, Deutsche Bank, le Fonds Kirchberg et les cabinets d’avocats Arendt & Medernach et Allen & Overy. De 11 h à 18 h, l’avenue John-Fitzgerald-Kennedy et ses alentours deviendront ainsi la plus grande galerie d’art publique du pays.
Et ce, même si le nombre d’institutions participantes a baissé par rapport à l’édition 2018, où elles étaient au nombre de dix. Mais depuis la dernière édition du PAK, dit Delphine Munro, «certaines institutions ont quitté le Kirchberg» – c’est le cas, notamment, de la banque suisse Pictet –, tandis que d’autres, comme BGL BNP Paribas ou le cabinet d’audit EY, «n’ont pas fait de nouvelles acquisitions depuis la pandémie».
La photo dans tous ses états
Pour autant, se retrouver en comité réduit ne signifie pas revoir l’évènement à la baisse, au contraire. Partout, on nous promet «un nouvel œil sur les collections», à travers des expositions spécialement conçues à l’occasion du PAK. À une extrémité de l’avenue JFK, l’exposition «Female Perspectives», chez Clearstream, regroupe «plusieurs générations de femmes photographes», indique Marie-Chantal Weber, avec des œuvres qui ont comme point commun un travail autour de la condition humaine, dans une approche documentaire (chez la photographe de guerre Christine Spengler ou la portraitiste de rue Evelyn Hofer) ou conceptuelle (le surréalisme de Weronika Gesicka). L’exposition est rendue possible grâce à la collection de la Deutsche Börse (maison mère de Clearstream), l’une des plus importantes en termes de photographie contemporaine.
De l’autre côté de la route, la photo sera aussi mise à l’honneur à la Deutsche Bank avec l’exposition «We are part of culture!», créée par l’ONG Project 100 % Human, soit une série de 30 portraits qui retrace une histoire culturelle de l’Europe à travers le prisme du genre et de l’orientation sexuelle.
La photographie, c’est aussi la discipline de prédilection d’Arendt & Medernach. Le curateur de la collection du cabinet d’avocats, Paul Di Felice, promet une approche «historique» quand, «habituellement, on présente des artistes contemporains vivants». La photographe américaine Francesca Woodman sera notamment à l’honneur, avec une sélection d’environ soixante clichés de l’artiste féministe morte en 1981, à 22 ans.
Incontestablement l’un des temps forts du PAK 2022. Et la visite d’Arendt continuera au premier étage du bâtiment avec un aperçu de la collection permanente, comprenant «les dernières acquisitions» et «une mise en dialogue des œuvres», avec de grands tirages de paysages, naturels et urbains, accrochés à l’intérieur des salles, et des portraits qui orneront les couloirs. UBS, pour sa part, proposera également une sélection de 45 photographies, avec un angle local : deux des artistes exposés, les Luxembourgeois Pit Molling et Serge Afanou, seront sur place pour rencontrer le public.
Collections engagées
Face à la Philharmonie, Allen & Overy reste fidèle à l’art vidéo et à la collaboration avec le Mudam, en cours depuis 2013 et renforcée depuis 2019, avec la création d’une bourse de recherche curatoriale au musée, dans le domaine de l’image en mouvement et des nouvelles technologies.
Le cabinet d’avocats présentera ainsi quatre œuvres phares de cette collaboration, avec les vidéos méditatives de l’artiste canadien Mark Lewis et du Mexicain Gonzalo Lebrija, les portraits de femmes de l’Allemande Julika Rudelius et un travail autour du geste signé du duo franco-luxembourgeois Brognon-Rollin. Les œuvres seront visibles dans l’auditorium d’Allen & Overy, «transformé pour l’occasion en salle de cinéma», glisse Alina Golovkova, des relations publiques, promettant même… «une machine à pop-corn»! Une fois n’est pas coutume, le partenariat entre le Mudam et le PAK s’exprime aussi par le coup de cœur donné à Bettina Steinbrügge, qui a choisi une œuvre dans chacune des collections.
La BEI, qui profite d’une collection d’environ un millier d’œuvres sur tous supports, a choisi cette année de mettre en avant le travail artistique autour du textile, «une perspective intéressante pour présenter les nouvelles acquisitions», dit Delphine Munro. La directrice du département Arts & Culture promet une «exposition spéciale» de 32 œuvres présentant les acquisitions de la BEI depuis 2018, avec «la part belle faite à des artistes socialement très engagés» dans des combats tels que «la crise climatique, la crise migratoire, la place de la femme dans la société»…
Le public pourra y découvrir une tapisserie de Kapwani Kiwanga, lauréate 2020 du prix Marcel-Duchamp, la recréation d’une cellule de prison pour femmes du duo d’artistes espagnol Gómez+González ou encore la broderie sur toile de l’Ukraino-Néerlandaise Alexandra Hunts, une artiste qui travaille «à cheval entre l’art et la science» et qui était, l’an dernier, l’une des quatre artistes en résidence auprès de la BEI. Delphine Munro ajoute que, pour sa prochaine résidence d’artistes, la banque accueillera, en plus des quatre places habituellement disponibles, un artiste ukrainien, en écho à l’actualité.
Avec un programme aussi copieux, PAK continue d’affirmer ses ambitions, dont la principale, pour les entreprises participantes, est «de s’engager vers un public beaucoup plus large» que celui qui vient, habituellement, pour les affaires ou le shopping. Des visites guidées sont programmées dans les différents lieux et, si le temps est clément, le public pourra même profiter de l’«Art Promenade», organisée par le Fonds Kirchberg, soit une balade à la rencontre des 14 sculptures disséminées sur le plateau.
Private Art Kirchberg.
Dimanche, de 11 h à 18 h.
Les coups de cœur de Bettina Steinbrügge
La directrice générale du Mudam, en poste depuis avril, a sélectionné un coup de cœur dans chacune des expositions de Private Art Kirchberg. Et les commente en quelques mots.
Julika Rudelius, Forever (Allen & Overy, vidéo, 2006)
«Julika Rudelius (interroge) un groupe de femmes aisées dans les Hamptons afin de construire des méditations pertinentes sur les rôles de la mode, du matérialisme et de l’estime de soi. Leurs réponses sont imprégnées de peurs et d’angoisses réprimées (…).»
Zanele Muholi, Faces and Phases (Clearstream, photographie, 2006)
«Zanele Muholi (…) a célébré la vie des communautés noires lesbiennes, gays, trans, queer et intersexes d’Afrique du Sud en capturant des moments d’amour et d’intimité de personnes qui risquent leur vie en vivant authentiquement face à la discrimination.»
Su-Mei Tse, Mistelpartitur (UBS, vidéo, 2006)
«L’œuvre poétique Mistelpartitur de Su-Mei Tse utilise une forêt comme notation (…) Le son, la nature et l’art s’unissent, ce que je trouve personnellement très important pour notre coexistence contemporaine.»
Lyle Ashton Harris, Untitled Portrait (Pre-Election Self Portrait Commission) (Arendt, photographie, 2000)
«J’ai été profondément touchée par cette photographie (…) Elle montre avec peu de moyens combien la vie des personnes racisées dépend des décisions politiques individuelles et combien nous sommes encore loin de l’égalité des chances.»
Cornelia Schleime, Ohne Titel, Mädchen mit Zöpfen (Deutsche Bank, peinture, 1996)
«Les tresses sont une déclaration féministe qui traverse l’œuvre de Cornelia Schleime comme un fil rouge. Ici, elles se libèrent de leur fonction de domptage, se déploient comme les ailes d’un oiseau et mettent en valeur la délicatesse et la vulnérabilité, tout en suggérant les possibilités infinies de la jeune fille.»
Simon Fujiwara, Anne Frank House Model (BEI, sculpture / architecture, 2018)
«Pourquoi Simon Fujiwara a-t-il recréé la maison d’Anne Frank? (…) Fujiwara tend un miroir à ses spectateurs, les incitant à s’interroger sur la nature de leurs réactions. Nous détenons en fait la clé du message éclairé de l’artiste. La maison comme produit touristique… et plus encore.»