Principal salon européen du jeu vidéo, la Gamescom, qui s’est achevée dimanche à Cologne après quatre jours de folie, n’a pu éviter le débat sur l’IA, vue à la fois comme une promesse et un danger. Ambiance sur place.
Le jeu vidéo est-il à l’aube d’une révolution ? La montée en puissance des intelligences artificielles ouvre en effet de nouvelles voies en termes de création et d’immersion, mais pose également de sérieux défis pour l’avenir des emplois et de la propriété intellectuelle. C’est le dilemme qui a fait l’objet de nombreux débats au salon professionnel du secteur Gamescom, qui rassemblait à Cologne depuis jeudi (et jusqu’à dimanche) plusieurs centaines de milliers de personnes.
Robots conversationnels ultraréactifs, génération automatique d’image, de code ou même de scénario… Le secteur adopte de plus en plus ces systèmes mettant en œuvre des réseaux artificiels de neurones permettant une capacité d’apprentissage. «L’IA est vraiment un tournant» pour l’industrie vidéoludique, estime ainsi Julien Millet, ingénieur en intelligence artificielle, fondateur du studio United Bits Game, présent au Pavillon français du Gamescom.
Des «personnages intelligents»
Dans un décor de science-fiction, un personnage au bonnet noir et aux traits tirés, debout derrière le comptoir d’un bar à ramens, répond immédiatement lorsqu’un joueur lui demande s’il va bien : «Je ne vais pas très bien, je suis inquiet !» Avec cette vidéo de quelques minutes, le géant des puces électroniques américain Nvidia a présenté en mai ACE, un programme destiné aux développeurs, permettant de «déployer des personnages intelligents» dans leurs jeux.
Je ne vais pas très bien, je suis inquiet!
Finies les interactions ne dépassant pas quelques lignes de dialogue automatique : équipé d’un micro, le joueur peut désormais discuter avec le personnage du jeu, grâce à une IA fonctionnant sur le même principe que Chat GPT. Comme Nvidia, de nombreuses entreprises du secteur avancent sur ce segment, permettant de rendre les jeux plus immersifs. «Cela apporte de l’imprévisibilité et, donc, rend le jeu plus réel», commente Sarah Brin, de Kythera AI, une entreprise qui propose un service d’intelligence artificielle pour les mouvements des personnages.
Club Koala et son avatar «unique»
Au Gamescom, professionnels et amateurs, parfois déguisés en leur personnage favori, se croisent dans d’immenses halls, où chaque studio de jeu vidéo dispose de son stand. Les visiteurs font la queue (parfois interminable) pour tester les nouveautés en avant-première. Dévoilé à Cologne, le jeu Club Koala, du studio singapourien Kunlun Group, permet d’incarner un avatar dans un monde de dessin animé. Il promet au joueur d’interagir «avec des personnages uniques animés par l’IA».
«L’IA fait désormais partie intégrante de la vie quotidienne. Nous voyons son énorme potentiel pour amener l’industrie du jeu à un niveau supérieur», a déclaré Fang Han, PDG de Play for Fun Studio, qui détient Kunlun Group. L’utilisation de ces technologies va cependant au delà de la simple adaptation au joueur. Elle entre progressivement dans le processus de création du jeu. «On utilise l’intelligence artificielle pour générer des lignes de storytelling permettant d’enrichir l’histoire dans le jeu, ou encore produire du code», explique Linus Gärtig, de la société berlinoise Ivy Juice Game, croisé au salon.
Les «concept artists» en péril
Les IA permettent aussi aux producteurs «de faire mieux comprendre leur vision», grâce aux modèles de génération d’image, qui produisent instantanément une illustration à partir d’un texte, selon Julien Millet. De quoi toutefois menacer certains métiers dans les studios, comme celui des «concept artist», dont le rôle est justement de traduire en image les directives des concepteurs. «Je suis vraiment inquiet pour les jeunes qui paient des milliers d’euros pour cette formation. Quelles seront leurs options ?», s’interroge Julien Millet.
L’utilisation de ces technologies pourrait en outre se heurter au délicat problème de la propriété intellectuelle. Les IA s’entraînent en effet sur des images ou des textes préexistants, parfois protégés. Or, pour l’instant, le droit s’appliquant aux images ainsi générées n’est pas clair. «Si vous êtes un grand éditeur et que vous utilisez ensuite l’IA générative, et qu’il s’avère que cela viole certains droits d’auteur, alors vous êtes vulnérable», explique Sarah Brin, de Kythera AI.
Contrairement à la plupart des concurrents, l’entreprise se refuse donc d’entraîner son modèle sur des bases de données ouvertes. Un dernier cas la conforte dans son choix à contre-courant : récemment, aux États-Unis, des artistes ont collectivement porté plainte contre Midjourney, Stable Diffusion et DreamUp, trois modèles d’IA formés grâce à des milliards d’images récoltées sur internet.