Le quartier d’Akihabara, à Tokyo, est devenu célèbre pour ses magasins remplis de jeux anciens et de consoles d’un autre temps. Il est aujourd’hui pris d’assaut par les fans de rétrogaming, nostalgiques de la NES ou de Pong. Ambiance.
Dans un quartier de Tokyo célèbre pour ses boutiques dédiées à la pop culture japonaise, des touristes se pressent dans une échoppe de jeux vidéo anciens, une denrée que s’arrachent des collectionneurs du monde entier. Curieux et adeptes du rétrogaming à l’affût de trésors rares peinent à se croiser dans les allées étroites de ce magasin niché dans les étages d’un immeuble du quartier d’Akihabara, croulant sous des monceaux de trésors d’antan. «Les touristes sont de plus en plus nombreux depuis une dizaine d’années. Ils représentent aujourd’hui 70 à 80 % de notre clientèle», explique monsieur Komura, le gérant du magasin «Super Potato», qui ne donne que son nom de famille.
«Quand je suis rentré, j’étais comme un gamin dans une confiserie», sourit David Madrigal, un touriste américain de 23 ans, près d’une pile de consoles jaunies par le temps. «C’est ma passion. J’adore les vieilles consoles!» Pour John Wamba, un Californien de 31 ans, la popularité des jeux japonais anciens s’explique par le fait que «certains produits culturels comme Pokémon et l’influence de Nintendo ont été des fenêtres sur la culture japonaise, d’un point de vue occidental». David Madrigal exhibe alors la PlayStation Vita, console portable de Sony sortie en 2011, qu’il vient d’acquérir pour remplacer celle de son enfance, qui avait fini par rendre l’âme. «J’ai payé 200 dollars, alors que ça m’aurait coûté 600 dollars aux États-Unis», se réjouit-il, profitant aussi de la faiblesse actuelle du yen.
Certains produits jamais commercialisés hors du Japon sont aujourd’hui très recherchés par les collectionneurs étrangers, souligne l’historien du jeu vidéo Hiroyuki Maeda. «Par exemple, les consoles Famicom et Super Famicom de Nintendo sont particulièrement populaires», car elles sont sorties à l’étranger sous des formes et des noms différents (la NES ou Nintendo Entertainment System, et la Super NES). «Si vous venez au Japon et que vous voyez une machine que vous n’avez jamais vue auparavant, vous avez envie de l’acheter. Cela stimule « l’âme du collectionneur »», dit-il.
«Pour être honnête, je ne joue pas vraiment»
Selon ce spécialiste, auteur de plusieurs dizaines de livres sur l’histoire des jeux et consoles, «la définition du rétrogaming varie selon l’époque» à laquelle les gens s’y adonnent. À deux heures de voiture au nord de Tokyo, dans un paysage de rizières et de champs de lotus, le «super collectionneur» japonais Proudro (son pseudonyme en ligne) comprend parfaitement le charme des reliques vidéo ludiques nippones. En face de la maison qu’il habite avec sa famille, une bâtisse ancienne, véritable musée du jeu vidéo, est remplie de son inestimable collection de plusieurs milliers de jeux et consoles d’autrefois et de bornes d’arcade en état de fonctionnement.
L’attrait qu’il porte pour ces vieilleries tient vraiment à «la nostalgie des souvenirs d’enfance dans des magasins de jeux ou des moments passés à jouer chez des amis», affirme le collectionneur de 50 ans. «Pour être honnête, je ne joue pas vraiment, confie-t-il. Être entouré par les jeux, leurs sons, leur ambiance, les regarder et rêver, cela suffit à mon bonheur.» Proudro a dépensé sans compter pour accumuler ces merveilles, qui atteignent parfois des prix délirants : une version encore sous emballage du jeu Super Mario Bros., sorti en 1985, s’est vendue en 2021 pour deux millions de dollars.
Jusqu’à la fin des années 1990, les vieux jeux n’avaient cependant quasiment aucune valeur, rappelle Hiroyuki Maeda. «Dans les magasins, ils étaient entassés dans des bacs» et vendus entre 10 et 1 000 yens (six centimes à six euros aujourd’hui). Proudro raconte avoir parcouru le Japon il y a une vingtaine d’années à la recherche de ces trésors dans des boutiques de jouets ou des librairies. «Il y avait souvent dans un coin, recouverts de poussière, des stocks de Super Famicom ou de Game & Watch. Les personnes âgées qui tenaient ces magasins me disaient de les emmener pour les débarrasser.» «Comme je travaille dans la vente de légumes, je leur donnais une caisse d’oignons ou de pommes de terre, et tout le monde était content!»
«Aujourd’hui, cela ne serait plus possible. Ces magasins ont disparu et avec internet, tout le monde s’est mis à faire de la revente», faisant flamber les prix, poursuit-il. Fier de sa passion, Proudro a fondé une association d’amoureux du rétrogaming pour la partager avec d’autres aficionados du monde entier, se réjouissant de l’intérêt d’étrangers pour cette culture japonaise. «Mais pour être honnête, je me dis aussi que ces biens japonais devraient rester au Japon. C’est un peu comme les estampes japonaises autrefois, qui sont parties à l’étranger où elles étaient plus appréciées, avant d’être rachetées par le Japon.» L’archipel, regrette-t-il, est toujours «lent à réaliser la valeur» de ses œuvres.