En Corée du Sud, les fous de poulet frit peuvent trouver ce grand favori de la restauration rapide à chaque coin de rue. Mais l’établissement de Kang Ji-young est un peu particulier : c’est un robot qui s’affaire en cuisine.
Profondément ancré dans la culture sud-coréenne, le poulet frit est sur toutes les tables, du repas de famille au «mukbang» (émission culinaire retransmise en direct). Pas moins de dix millions de téléspectateurs ont ainsi regardé en direct la star du groupe de K-pop BTS Jungkook déguster cette spécialité pour une émission de ce type. Accompagné d’une bière blonde et connu sous le nom de «chimaek» (combinaison des mots désignant le poulet et la bière), le poulet frit est aussi incontournable de l’expérience du spectateur de base-ball à Séoul.
Le marché intérieur – le troisième au monde, après les États-Unis et la Chine – représente quelque 7 000 milliards de wons (4,9 milliards d’euros). Mais la pénurie de main-d’œuvre commence à se faire ressentir. Une enquête réalisée en 2022 a révélé qu’environ 54 % des patrons d’entreprises de la restauration peinent à recruter. Les longues heures de travail, le stress et la pénibilité sont pointés du doigt par une étude distincte du secteur.
Le poulet frit coréen est saumuré et frit deux fois, ce qui lui confère son aspect croustillant caractéristique. Mais le processus – plus élaboré que celui généralement utilisé par les chaînes de restauration rapide américaines – nécessite plus de main-d’œuvre et exige que les travailleurs restent longtemps à proximité de l’huile chaude.
Kang Ji-young, une entrepreneuse de 38 ans, y a vu une opportunité. Le secteur pourrait clairement bénéficier d’une plus grande automatisation pour «s’attaquer efficacement aux coûts de la main-d’œuvre et à la pénurie» de celle-ci, assure-t-elle, dans sa franchise Robert Chicken.
Derrière elle, le robot s’occupe méticuleusement de la friture, immergeant la viande dans l’huile, la retournant pour une cuisson uniforme, puis la récupérant quand elle est parfaitement croustillante. Une odeur irrésistible flotte dans l’établissement. Le robot peut surveiller la température de l’huile et les niveaux d’oxydation en temps réel pendant qu’il fait frire le poulet, ce qui garantit un goût constant et une hygiène supérieure.
Composé d’un bras mécanique simple et flexible, il est capable de frire 100 poulets en deux heures, une tâche qui nécessiterait normalement environ cinq personnes et plusieurs friteuses. Kang Ji-young l’affirme : non content d’être plus efficace que les humains, son robot est aussi meilleur cuisinier.
La Corée du Sud, déjà à la pointe de l’industrie électronique mondiale, a annoncé en 2022 la création d’un fonds de plusieurs millions de dollars pour aider les jeunes entreprises travaillant sur des solutions de haute technologie pour l’industrie alimentaire. Le gouvernement y voit la possibilité d’un «nouveau moteur de croissance», misant sur le potentiel considérable que pourrait représenter la combinaison de la robotique avancée et de l’intelligence artificielle à des classiques de la gastronomie locale, comme le kimchi.
Des applications mobiles de livraisons de courses aux cuisines intelligentes, en passant par une start-up spécialisée dans les «œufs végétaliens», l’industrie agroalimentaire sud-coréenne est déjà un poids lourd de l’économie, rappelle Lee Ki-won, professeur de sciences alimentaires à l’université nationale de Séoul. Samsung, l’une des plus grandes entreprises technologiques au monde, a pris part au mouvement en lançant Samsung Food, une plateforme de planification de repas et de recettes personnalisées grâce à une intelligence artificielle, disponible en huit langues.
Selon Lee Ki-won, les autres conglomérats sud-coréens pourraient rapidement lui emboîter le pas. Dans un futur pas si éloigné, la livraison de nourriture par véhicule électrique ou robots livreurs pourrait bientôt s’intégrer à notre vie quotidienne, augure-t-il, se disant «persuadé» que l’industrie des technologies alimentaires deviendra le premier secteur d’activité de la Corée du Sud d’ici dix ans.
Kang Ji-young possède aujourd’hui quinze restaurants de poulet robotisés à travers le pays, ainsi qu’une succursale à Singapour. Attablée dans l’une des franchises, Kim Moon-jung, employée d’une compagnie d’assurance de 54 ans, se délecte. Si elle admet ne pas bien comprendre en quoi le robot cuisine différemment d’un humain, «une chose est sûre, c’est délicieux!», dit-elle.
Lorsque Kang Ji-young a créé son entreprise, elle n’était pas sûre que quiconque fasse confiance à un robot plutôt qu’à un cuisinier humain. «Après avoir développé ces technologies, je me suis rendu compte que, du point de vue du client, il peut déguster des aliments non seulement plus propres, mais aussi plus savoureux», dit-elle. Sa prochaine entreprise sera un bar dans le quartier coréen de New York, qui proposera des cocktails à base de soju, l’alcool fort traditionnel corée, préparés par des robots.