Lorsque le groupe de rock libanais Mashrou’ Leila s’est produit au Caire, en septembre dernier, les drapeaux arc-en-ciel brandis dans le public, l’emblème mondial pour les droits des homosexuels, ont provoqué une réaction brutale.
Les autorités égyptiennes ont lancé des rafles dans la communauté gay, arrêtant des dizaines de personnes, dont certaines ont été soumises à des examens physiques humiliants, selon des groupes de défense des droits de l’homme.
Le chanteur de Mashrou’ Leila, Hamed Sinno, est ouvertement gay et le groupe s’est dit indigné par la répression. Mais le groupe ne veut pas pour autant devenir un étendard pour les droits des homosexuels, ni une caricature de ce que Sinno considère comme une vision occidentale simpliste du monde arabe. Mashrou’ Leila – qui avec son mélange unique de rock alternatif et de poésie arabe, est devenu l’un des groupes les plus en vue du Moyen-Orient – considère la musique comme un objectif en soi.
« Vouloir représenter quelqu’un d’autre que notre propre personne est une question vraiment troublante », explique Hamed Sinno dans un bar près de l’université de New York, où le groupe dirige un atelier musical de deux mois.
« Masculinité nationale comme forme de dignité »
Les lois contre l’homosexualité au Moyen-Orient remontent souvent à la période coloniale. L’Égypte n’a jamais inscrit cette interdiction dans la loi mais son Parlement envisage maintenant une législation. « La seule raison derrière cela est, essentiellement, une vague culturelle très claire dans le sens d’une plus grande acceptation. Sans cela il n’y aurait aucune raison d’introduire une nouvelle loi », juge Hamed Sinno.
En Égypte et dans d’autres pays arabes qui ont connu la vague révolutionnaire du printemps arabe, s’est imposée l’idée de « masculinité nationale comme forme de dignité », observe Hamed Sinno. Il voit la campagne anti-gay comme une manœuvre politique du président Abdel Fattah al-Sissi, soucieux de séduire les conservateurs religieux avant les élections. Et la Jordanie a interdit l’an dernier une performance de Mashrou’ Leila.
Des progrès certes, mais des motivations troubles
Malgré cela, Hamed Sinno voit des progrès sur les questions de genre et de sexualité au Liban, mais aussi au Maroc et en Tunisie. Le chanteur est en revanche sceptique sur les motivations des pays occidentaux dans la promotion des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres dans le monde arabe. Les États-Unis peuvent justifier ce que Hamed Sinno estime être une quête du pétrole en disant : « Nous envahissons pour les homosexuels et les femmes ! » « Mais les bombes tombent aussi sur les gays et les femmes », pointe-t-il.
Le dernier clip du groupe, Roman, tourné par la réalisatrice libanaise Jessy Moussallem, met en scène des femmes voilées qui se mettent soudainement à danser. Une façon pour Mashrou’ Leila de se jouer de la vision occidentale de la répression des femmes au Moyen-Orient. « La musique a la capacité de façonner la réalité pour les gens », note Hamed Sinno, et de montrer « qu’il y a d’autres personnes qui partagent votre politique et votre langage. »
Le Quotidien/AFP