À 25 ans seulement, la dessinatrice de manga Sabrina Kaufmann, artiste talentueuse et autoentrepreneuse déterminée, est devenue une figure incontournable de l’univers manga au Luxembourg.
C’est une figure désormais bien connue des amateurs de mangas et de cosplay au Grand-Duché. La jeune Luxembourgeoise d’origine coréenne Sabrina Kaufmann est en effet depuis plusieurs années déjà de tous les festivals du genre de la Grande Région et a su se faire un nom dans l’univers manga au Grand-Duché.
On la reconnaît aisément affairée à son stand, crayon à la main et tout sourire, vêtue de l’un de ses costumes au style gothique lolita, «sa tenue de combat», comme elle aime à l’appeler, qui la «met immédiatement en mode travail».
Elle s’y fond avec harmonie à son décor, entourée de ses dessins représentant des jeunes femmes aux robes foisonnant de détails. Des dessins qui plongent les amateurs dans un univers coloré, empreint de douceur et de romantisme, fantastique aussi parfois, toujours ultraféminin.
«J’aime dessiner de jolies dames, avec des belles robes remplies de détails», explique la jeune femme, «les personnages féminins me permettent de représenter la grâce, la beauté. Avec les vêtements, je me fais plaisir car j’ai toujours aimé la mode, mais c’est aussi un moyen de raconter des histoires».
Cinq contes de fées avec Illustrated Fairytales
Si elle a toujours aimé dessiner, partout, tout le temps, c’est avec la série Naruto que la petite Sabrina Kaufmann découvre l’univers manga. Une passion qui ne la quitte plus depuis, même si elle s’est peu à peu centrée sur l’univers Shojo («jeune fille» en japonais). La jeune autodidacte se forme alors (et continue de se former) par le biais des livres et des vidéos. Récemment, elle a toutefois pris des cours de nu pour améliorer sa technique. Se perfectionner encore et toujours. Ses modèles? L’auteur Shin’ichi Sakamoto, à qui l’on doit le manga Innocent, et les dessinatrices Hiromi Matsuo et Jasmin Darnell, pour leur univers lui aussi très féminin.
À 25 ans seulement, la jeune mangaka compte déjà une douzaine d’ouvrages à son actif, ainsi que de nombreuses collaborations. Le dernier en date, intitulé Illustrated Fairytales, reprend sous forme de manga cinq contes de fées de Grimm et Andersen, à la fin desquels Sabrina Kaufmann a rédigé une petite analyse, psychanalytique et contextuelle. «Avant de dessiner, j’effectue beaucoup de recherches pour voir s’il y a un aspect qui serait particulièrement intéressant à raconter (voir encadré).»
Sorti en format relié en juillet dernier, Illustrated Fairytales était initialement paru en comic web, mais grâce au financement participatif, l’argent nécessaire ayant été réuni en deux jours seulement, témoin du succès grandissant de la dessinatrice, elle a pu s’offrir les services d’un imprimeur professionnel.
Un voyage au Japon annulé
Depuis deux ans et demi, après des études de gestion destinées à lui permettre de gérer son entreprise, Sabrina Kaufmann est à son propre compte. Une tâche ardue : «Quand on choisit une voie artistique, c’est toujours un peu compliqué. Surtout au début, quand on n’a pas encore de clients, ou auprès de l’administration, qui a du mal à comprendre notre statut.»
Elle est en effet à la fois artiste, prof (elle donne des cours de dessin en ligne, particuliers, au sein des écoles ou par le biais de commerces de création), mais aussi commerçante lorsqu’elle se rend dans des festivals et répond à des commandes (pour des magazines, des affiches…). «L’ironie, c’est que mon métier consiste à dessiner, mais je passe plus de temps sur les routes, à enseigner, à préparer des festivals, à faire de la comptabilité…!»
Une routine bien remplie. Jusqu’à l’arrivée du coronavirus, qui a bouleversé tous ses plans, jusqu’à son voyage au Japon, une première pour cette fan de mangas. «Je devais enfin me rendre dans ce pays où il y a beaucoup d’artistes que j’admire. On trouve aussi là-bas des livres qui ne sont pas disponibles ici, de même que du matériel de dessin. Et je voulais aussi refaire ma garde-robe! Mais ce n’est que partie remise!»
Le coronavirus, «un mal pour un bien»
Surtout, «du jour au lendemain, tous (ses) contrats se sont arrêtés». Finis les cours dans les écoles et les entreprises, de même que les festivals, qui ne reprendront pas avant septembre, au moins. «J’étais d’autant plus déçue que je devais participer pour la première fois à un très grand festival, le Made in Asia de Bruxelles», déplore la jeune femme.
Idem pour les expositions. «Nous venions tout juste d’exposer dans une boutique éphémère avec des amis artistes quand le confinement a été décrété. Nous avons dû fermer après quelques jours d’ouverture seulement.» Des frais de location, mais aussi des commandes de stocks et des impressions qui ont coûté de l’argent, alors que les revenus se font plus rares. «Heureusement, je vis chez mes parents. Avec un loyer, ce serait vraiment très difficile», souffle Sabrina Kaufmann.
Pas question de rester les bras croisés pour autant, la jeune autoentrepreneuse décide de donner un coup d’accélérateur à sa plateforme Patreon (Patreon.com/SabrinaK), un site de financement participatif qui permet de soutenir les artistes grâce à un système d’abonnement mensuel. En contrepartie, les sponsors obtiennent des petites attentions. Ainsi, pour deux euros par mois, les abonnés de Sabrina Kaufmann reçoivent une newsletter qui relate, entre autres, ses travaux, les défis rencontrés… Pour 30 euros, c’est une pochette-surprise contenant des exclusivités créées spécialement pour Patreon.
Des tutoriels pour ses fans-sponsors sur Patreon
L’artiste s’investit également pour y développer ses cours en ligne : «Avec un abonnement mensuel de 5 euros, les abonnés peuvent recevoir chaque mois des tutoriels sous forme de fiches à imprimer, portant sur un thème spécifique. Pour 10 euros, c’est une vidéo pour aller encore plus loin dans les détails.»
Un nouvel espace, en plus de son site internet (sabrinakaufmann.com), sur lequel l’illustratrice mise beaucoup désormais : «C’est une plateforme sur laquelle je mets l’accent car elle me permet d’avoir un revenu stable. Mais aussi de faire des choses qui me plaisent vraiment, qui ne sont pas des commandes. J’ai une petite communauté, mais très fidèle. Je me suis rendu compte par exemple que j’ai un sponsor qui me soutient depuis cinq ans. Grâce à Patreon, je peux me consacrer à des projets qui me tiennent à cœur et qui intéressent mon audience.»
Avec le recul, et au vu de sa situation personnelle, Sabrina Kaufmann estime que la pandémie aura finalement «peut-être été un mal pour un bien» : «Cette situation m’a forcée à me mettre un peu à l’arrêt et à revoir mes priorités. Je suis quelqu’un qui adore travailler et ne compte pas ses heures, à tel point que je développe régulièrement des migraines et des tendinites à la main. Grâce au confinement, j’ai pu retrouver un rythme de dessin, pour faire ce qui me plaît vraiment, notamment grâce à Patreon, et non plus seulement répondre à des commandes. Je peux ainsi laisser ma créativité s’exprimer pleinement.»
Tatiana Salvan
Le Roi Barbabec version manga
L’un des contes repris par Sabrina Kaufmann dans son livre Illustrated Fairytales (disponible sur le site sabrinakaufmann.com) est Le Roi Barbabec des frères Grimm, dans lequel une princesse arrogante qui rejette tous ses prétendants finit malgré elle par épouser l’un d’entre eux, qui s’était déguisé pour la punir de son orgueil.
Comme à son habitude, la dessinatrice a effectué des recherches poussées avant de se mettre à sa table de dessin : «Connaître l’analyse de cette histoire a été essentiel pour mon travail. Ainsi, beaucoup de lecteurs m’ont dit « À la fin, la princesse devient humble, c’est une meilleure personne ».
Or, en fait, à l’époque à laquelle ce conte a été écrit par les frères Grimm, les hommes étaient très misogynes. La fin peut donc aussi être une manière de rappeler que les femmes n’ont pas leur mot à dire et doivent être remises à leur place.»
Sabrina Kaufmann a donc choisi de laisser le lecteur se faire sa propre interprétation en laissant planer le doute, et ce, jusqu’à la dernière vignette. Celle-ci représente en effet le couple royal, la mariée portant un voile qui lui masque les yeux. Seul l’homme s’exprime : «Vivons ensemble dans la joie et le bonheur pour toujours, mon amour», déclare-t-il. Happy end ou propos satisfaits d’un manipulateur machiste?