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Le grand bricolage d’Esch2022


"Sans culture, un territoire n’a pas d’âme ! Et elle ne peut être un moteur qu’avec les acteurs locaux." (archives Emile Hengen)

Jeudi à la Rockhal, l’équipe d’Esch2022 a posé les bases de la future capitale européenne de la culture, rappelant ses philosophies et dévoilant une partie de sa programmation. À 120 jours de son démarrage, le scepticisme général l’emporte.

La grand-messe a enfin eu lieu. Une cérémonie supplantant d’autres annonces périphériques, nombreuses, éparpillées dans l’agenda depuis une grosse année comme autant d’îlots perdus. De quoi égarer pas mal de monde en chemin, ceux soucieux, en tout cas, de définir les contours d’une capitale européenne de la culture qui peine à se dessiner. Jeudi, à la Rockhal, le mot d’ordre était donc clair : l’union sacrée après les dissensions. «Nous sommes tous Esch2022 !», clame ainsi, en guise d’introduction, Nancy Braun, sa directrice générale.

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Au vu des moues interrogatives et des regards douteux de l’assistance, pas sûr que l’appel ait convaincu. Il faut reconnaître que le scepticisme s’est enraciné depuis décembre 2017, date de la nomination officielle. Trois ans et demi faits de «rumeurs et de critiques», même s’il y a eu plus «de hauts que de bas», selon les termes choisis par Georges Mischo, bourgmestre d’Esch-sur-Alzette et président d’Esch2022 – le seul finalement à rappeler, certes brièvement, les errances passées. C’est un fait, celles-ci n’ont pas épargné la bonne organisation de la manifestation qui, de surcroît, a dû conjuguer les retards pris avec d’autres nés de la crise sanitaire.

Passé industriel et futur innovant

Mais oublions, au moins un temps, les galères, les rancunes, les prises de becs, les jeux politiques et les départs de différents coordinateurs en place (Janina Strötgen, Andreas Wagner, Christian Mosar) pour mieux nous plonger dans un avenir plus ou moins proche : d’abord, la capitale européenne de la culture, bien sûr, dont le démarrage est prévu d’ici quatre mois. Et sa répercussion, à long terme, sur le territoire, ses institutions et ses habitants. Un équilibre temporel qui s’observe jusque dans la programmation et les lieux choisis, entre le riche passé «historique et industriel» de la région de la Minett et le futur voulu prometteur du quartier de Belval, tout en «innovation et créativité», où s’est posé, comme un symbole, le QG d’Esch2022.

D’ailleurs, depuis la prise de pouvoir de la coalition DP-CSV-déi gréng à Esch-sur-Alzette et ses inévitables répercussions, pour beaucoup, il n’y avait pas l’ombre d’un doute : la politique culturelle menée suivrait une logique commerciale et libérale. Esch2022 devait en être l’allégorie. Il n’en est rien. Évidemment, parmi les nombreuses interventions au pupitre, jeudi, certains mots et expressions restaient quand même dans le ton : «mobilité», «tourisme», «développement durable», «retour sur investissement»…

Black Eyed Peas n’est pas mort !

Des objectifs certes importants, remis à leur place par la ministre de la Culture, Sam Tanson : «Sans culture, un territoire n’a pas d’âme ! Et elle ne peut être un moteur qu’avec les acteurs locaux.» Juste avant elle, sur grand écran, la Grande-Duchesse Maria Teresa parlait de «vecteur d’intégration» et de «vivre ensemble». Sous le leitmotiv «Remix Culture», Esch2022 et ses dix-neuf communes impliquées (onze luxembourgeoises et huit françaises) ramènent donc sur le tapis les questions d’identité mises à la sauce transfrontalière. «C’est un projet résolument européen», insiste Sam Tanson.

À travers 160 projets (une dizaine doivent toutefois encore être «validés») – auxquels se rattachent plus de 2 000 manifestations – il s’agit donc d’impliquer au maximum les résidents. Comme on peut le lire sur le site dédié, le programme vise à refléter à la fois «le potentiel diversifié de la région et une scène internationale de premier plan». Mais dans les faits, la vingtaine d’ «expériences inspirantes» présentées jeudi ne soulèvent pas l’enthousiasme.

Rayon «tape-à-l’œil», la venue de Black Eyed Peas (tiens, ça existe encore ?), à l’affiche d’un «Open Air» prévu mi-juin à Belval, est franchement maigre. Rappelons qu’en 2007, dernière «année culturelle» en date, le cerf bleu s’était attaché les services de quelques grands noms qui comptent (Sasha Waltz, Sophie Calle, Wim Delvoye, Martin Parr…). Et côté local, ce n’est guère plus emballant. Pour preuve, les premières offres externalisées qui, à Käerjeng, réimaginent la fête des Brandons, et à Pétange, la cavalcade! Sans oublier cette insistance à «vendre» les rencontres littéraires, comme si c’était quelque chose de nouveau au pays.

Des chaos dans la programmation

Voilà tout le problème : on a l’impression qu’en raison d’un manque de temps (et non de moyens), Esch2022 a fait main basse sur des propositions déjà bien ancrées dans le paysage national, alors que le statut de capitale européenne est justement une occasion de changer de cap, de lancer de nouvelles initiatives. En un mot : oser. Bien sûr, la critique aurait été aussi sensible si le strass et les paillettes l’avaient emporté sur la mise en valeur et le respect du tissu territorial. Mais reste cette question : quelle est donc la plus-value apportée ?

Il y a, c’est certain, ces nouveaux établissements sortis du sol ou réhabilités (Konschthal, Ariston, Bridderhaus, Bâtiment IV…) qui offrent des perspectives engageantes, comme d’autres avant eux, nés en 2007 (Rotondes, espace Paul-Wurth, Soufflantes d’Esch-Belval…). «Ce n’est pas un one shot, mais bien quelque chose qui s’inscrit dans le temps», rappelle Georges Mischo. Mais il y a parallèlement d’autres bizarreries, comme les maigres échanges avec les deux autres capitales culturelles (Kaunas et Novi Sad), celui refoulé avec la Kulturfabrik ou encore cet évident manque de coordination qui planifie sur le même week-end (celui des 11 et 12 juin) les Francofolies et le nouveau festival «Usina22» de Dudelange.

Enfin, si le bourgmestre d’Esch-sur-Alzette voit les projets de 2022 comme autant «de cadeaux à ouvrir», l’allégresse enfantine retombe rapidement quand on se perd sur un site pas si commode que ça à manier, avec des offres articulées selon quatre pôles aux imbrications encore vaporeuses («Yourself», «Europe», «Art» et «Nature»). Sentiment qui persiste, malheureusement, quand les artistes répondent mollement à l’appel des tables rondes organisées l’après-midi même… Pour tout ça, pas sûr que l’ouverture du 26 février soit le jour d’ «apothéose» attendu par Sam Tanson. À défaut de mieux, on reste alors suspendu au slogan «Be Part of It». Une injonction qui portera ses fruits. Ou pas.

Grégory Cimatti

 

Esch2022

Lancement le 26 février 2022

Fin le 22 décembre 2022

11 communes luxembourgeoises

Esch-sur-Alzette / Schifflange / Differdange / Käerjeng / Mondercange / Bettembourg / Kayl-Tétange / Dudelange / Rumelange / Sanem / Pétange

8 communes françaises

Aumetz / Russange / Boulange / Thil / Audun-le-Tiche / Villerupt / Ottange / Rédange

En chiffres

160 projets

Plus de 2 000 manifestations

(dont plus de 600 à Esch-sur-Alzette)

36 performances

141 concerts

137 expositions

32 festivals

360 ateliers participatifs

Plus de 500 bénévoles

56,6 millions d’euros de budget

Les deux autres capitales culturelles de 2022

Kaunas (Lituanie) / Novi Sad (Serbie)

Site internet : esch2022.lu

Quelques rendez-vous

Idiomatic
«Mouture spécifiquement luxembourgeoise» d’un spectacle déjà monté ailleurs en Europe par le collectif bruxellois Transquinquennal, Idiomatic tente de déchiffrer le «puzzle linguistique» qu’est le Grand-Duché. Premier événement de l’année culturelle 2022, Idiomatic condense déjà toutes les problématiques à venir – la langue, donc, et par extension la communication, mais aussi les frontières, le rôle et l’efficacité des nouvelles technologies… – pour une pièce qui promet d’être furieusement drôle et expérimentale, dans l’intimité du théâtre d’Esch. À ne pas louper.

Auguste Trémont
Né à Luxembourg en 1892, Auguste Trémont a travaillé, pendant la Première Guerre mondiale, comme dessinateur technique à la fonderie de Dudelange. Lauréat du prix Grand-Duc-Adolphe en 1918, celui qui allait devenir un spécialiste de l’art animalier fera l’objet d’une exposition toute contemporaine, accompagnée par le plasticien Éric Schumacher. «Une rencontre revisitée», c’est son titre, reviendra sur les années 1914-1918, pendant lesquelles le peintre a immortalisé les métiers du feu et du fer… À découvrir du 24 février au 16 avril 2022 à la galerie Schlassgoart.

Nuit de la culture
Lors de la dernière édition, en juillet, son coordinateur général, Loïc Clairet, nous confiait que 2022 allait voir naître «une Nuit de la culture beaucoup plus grosse». Pour les dix ans de l’évènement à Esch-sur-Alzette, ce ne sont pas moins de cinq Nuits de la culture qui seront programmées. «La ville d’Esch comme terrain de jeux», dixit Loïc Clairet, c’est le principe même de cette version unique de la manifestation pluridisciplinaire, «construite avec les habitants» et qui investira aussi bien «les grands parcs» que des «lieux intimes ou secrets» de la Métropole du fer…