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Le Goncourt 2015 attribué à « Boussole » de Mathias Enard


Exigeant, parfois ardu, le roman de Mathias Enard tient parfois du poème. Ses références culturelles innombrables le font aussi pencher vers l'essai érudit. (photo AFP)

Le prix Goncourt, la plus prestigieuse des récompenses littéraires francophones, a été décerné mardi à Paris à Mathias Enard pour son ambitieux roman « Boussole » (Actes Sud), hymne érudit à l’Orient dans lequel apparaît ça et là la tragédie syrienne.

Fin connaisseur du Levant, cet écrivain français de 43 ans, enseignant d’arabe à Barcelone, était l’un des favoris du Goncourt. Il a recueilli dès le premier tour de scrutin les suffrages de six des dix membres du jury de l’académie Goncourt. « Je suis surpris et très heureux », a-t-il dit à la presse dans une cohue indescriptible.

boussole« Je reviens d’Alger, figurez-vous, et de Beyrouth », a ajouté l’auteur de « Boussole ». « Peut-être la baraka de Cheikh Abderrahmane, le patron d’Alger, et Saint Georges de Beyrouth ont fait ça et j’en suis extraordinairement heureux ».

Le Premier ministre français Manuel Valls a salué sur Twitter le lauréat, qui « avec son phrasé musical transmet l’amour de l’Orient et de ses trésors à préserver. Une Boussole pour l’époque ».

Exigeant, parfois ardu, le roman de Mathias Enard tient parfois du poème. Ses références culturelles innombrables le font aussi pencher vers l’essai érudit. Cette complexité était considérée comme le bémol susceptible de priver l’auteur du Goncourt. Le temps d’une nuit, l’ouvrage enfiévré plonge dans les rêveries opiacées d’un musicologue viennois épris de l’évanescente Sarah, avec l’objectif de réhabiliter l’Orient face aux clichés de l’Occident.

Le lecteur accompagne Franz Ritter, le narrateur, à Istanbul, Palmyre, Alep, Damas ou encore Téhéran, des villes que Mathias Enard, diplômé de persan et d’arabe, connaît bien. Il a vécu notamment au Liban, en Syrie. La tragédie syrienne apparaît ici et là. « Les égorgeurs barbus s’en donnent à coeur joie, tranchent des carotides par-ci, des mains par-là, brûlent des églises et violent des infidèles à loisir », écrit Enard. Cette image sinistre, qui prédomine aujourd’hui en Occident, occulte l’essentiel, déplore-t-il.

Dix euros avant le jackpot

Les relations compliquées entre l’Occident et l’Orient étaient au coeur des quatre romans finalistes du Goncourt cette année, dévoilés le 27 octobre au musée du Bardo à Tunis. Mathias Enard était l’un des deux favoris avec l’écrivain franco-tunisien Hédi Kaddour pour son roman « Les prépondérants » (Gallimard).

Le lauréat du Goncourt recevra un chèque de… 10 euros. Mais l’enjeu est ailleurs: un roman estampillé Prix Goncourt se vend en moyenne à environ 400 000 exemplaires. Au jeu des pronostics, neuf des 16 critiques littéraires interrogés en fin de semaine dernière par l’hebdomadaire spécialisé Livres Hebdo s’attendaient à voir Hédi Kaddour récompensé. Les sept autres avaient parié sur Mathias Enard.

Le principal handicap de Kaddour était d’avoir déjà décroché le prix de l’Académie française. Jusqu’ici, seuls deux écrivains ont reçu la même année le prix des « Immortels » et le Goncourt. Le dernier en date est Jonathan Littell, en 2006, pour « Les bienveillantes ».

A l’inverse, Mathias Enard avait reçu en septembre le prix des libraires de Nancy-Le Point. Or, depuis 2013, les lauréats de ce prix ont été récompensés ensuite par le Goncourt.

Mathias Enard, qui succède à Lydie Salvayre (« Pas pleurer », Seuil), figure désormais sur une liste de lauréats prestigieux dont Marcel Proust (1919, « A l’ombre des jeunes filles en fleur »), André Malraux (1933, « La Condition humaine »), Patrick Modiano (1978, « Rue des boutiques obscures ») ou plus récemment Michel Houellebecq (2010, « La Carte et le territoire »).

 

AFP

Le Renaudot attribué à Delphine de Vigan

Dans la foulée du Goncourt, le prix Renaudot a été décerné mardi à Delphine de Vigan, la seule femme figurant parmi les prétendants, pour « D’après une histoire vraie » (JC Lattès). Les autres finalistes du Renaudot étaient Laurent Binet pour « La septième fonction du langage » (Grasset), Christophe Boltanski (« La cache », Stock), Fabrice Guénier (« Ann », Gallimard) et Philippe Jaenada (« La petite femelle », Julliard).