Le Fespaco, grand festival du septième art africain, s’est achevé samedi à Ouagadougou avec le sacre du film « Fièvres », du réalisateur marocain Hicham Ayouch, le film vedette « Timbuktu » devant se contenter de prix mineurs.
Hicham Ayouch espère « changer les mentalités grâce à l’art, à l’imaginaire et à l’éducation ». (Photo : AFP)
Hicham Ayouch a reçu l’Etalon d’or de Yennenga, qui couronne le meilleur long métrage, des mains du président burkinabé Michel Kafando, sous les applaudissements des quelque 4 000 personnes venues assister à cette cérémonie de clôture. « Je suis Africain et fier de l’être », s’est exclamé le lauréat, ému : « On nous a volé notre passé, on a tenté de voler notre histoire, mais notre culture nous appartient et il est temps de prendre les choses en main maintenant ».
« Nous sommes un continent beau, noble et riche, nous sommes la mère de toute la terre, nous sommes les sages du monde », a-t-il conclu, appelant à « changer les mentalités grâce à l’art, à l’imaginaire et à l’éducation ». Les Etalons d’argent et de bronze ont récompensé, respectivement, le film « Fadhma N’Soumer » du réalisateur algérien Belkacem Hadjadj et « L’Oeil du cyclone » du Burkinabé Sékou Traoré.
Ce dernier est d’ailleurs la grande révélation de ce Fespaco, raflant le prix Oumarou Ganda récompensant une « première oeuvre », ainsi que ceux de la meilleure actrice (Maimouna N’Diaye) et du meilleur acteur (Fargass Assandé). Le Maroc a aussi été mis à l’honneur dans la catégorie court métrage de ce 24ème Fespaco : « De l’eau et du sang » de Abdelilah Eljouhary a obtenu le premier prix de la catégorie. Journaliste de formation, Hicham Ayouch est le frère cadet de Nabil Ayouch, lauréat de l’Etalon d’or 2001 avec le film « Ali Zaoua ».
Son discours s’est par moment mué en diatribe contre le néo-colonialisme : « Je n’ai pas besoin d’aide, j’ai besoin d’une coopération qui cesse d’exploiter notre continent et qui cesse de faire couler des rivières de sang. » Tourné en France, dans une cité, « Fièvres » raconte l’histoire de Benjamin, 13 ans, dont la mère ne peut plus s’occuper, et qui part dès lors vivre chez son père Karim. Ce dernier, qui vit lui-même chez ses parents, se retrouve complètement démuni face à ce garçon, aussi attachant qu’insolent, qui bouleverse sa vie.
> Festival sous haute surveillance
Le film vedette du festival, « Timbuktu », s’est contenté des prix des meilleurs décors et de la meilleure musique, après avoir été auréolé fin février en France de sept Césars, dont celui du meilleur film. Son réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako s’est montré beau joueur, tombant dans les bras du lauréat : « Je suis très, très heureux pour Hicham », a-t-il dit. « C’est l’Afrique qui gagne ». « Timbuktu a remporté des prix déjà, Timbuktu a une lumière suffisante pour exister et l’Etalon c’est une lumière de plus et quand une lumière est donnée à un autre cinéaste, c’est la victoire du cinéma et c’est ma victoire aussi et ça je le pense sincèrement », a-t-il conclu.
Patrouilles aux abords de la manifestation, fouille minutieuse des spectateurs, portiques détectant les métaux : le dispositif de sécurité était inédit pour cette 24e édition du Fespaco. Les autorités avaient craint des « problèmes sécuritaires » en raison de la diffusion de « Timbuktu », film racontant la vie quotidienne dans le nord du Mali sous la coupe des jihadistes, qui ont contrôlé plusieurs mois cette région en 2012 et 2013. Fondé en 1969, le Fespaco se tient tous les deux ans au Burkina Faso, pays pauvre dont il constitue la carte de visite à l’international.
L’édition 2015 est la première depuis la chute du président Blaise Compaoré en octobre à la suite d’une révolte populaire, présente en filigrane lors de ce festival. Un documentaire présenté au festival retrace en effet la vie d’une figure abondamment revendiquée durant le soulèvement populaire : le président burkinabé Thomas Sankara, assassiné en 1987 lors d’un putsch qui amena M. Compaoré au pouvoir. « Le Burkina a eu la force, malgré les moments difficiles, d’organiser ce festival », a commenté M. Sissako : « Nous pensions que ce festival n’allait pas avoir lieu, mais il a eu lieu ».
AFP